Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/318

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

particules matérielles qu’étudie l’astronome, il y a à la fois deux forces en action, — l’une vers le centre, l’autre centrifuge, — l’être vivant, l’être doué de volonté serait-il donc livré à une seule force, celle qui le concentre en lui-même, sans qu’aucune force réelle d’expansion le puisse ouvrir au dehors ? Nous croyons que la philosophie future n’acceptera pas cette représentation radicalement égoïste de la volonté.

La théorie, de plus en plus dominante, qui admet le caractère essentiellement social de l’individu même, rompra définitivement avec l’atomisme psychologique et moral du siècle dernier. Cette théorie repose à la fois sur la biologie, sur la psychologie, sur la science sociale : elle nous paraît appelée à devenir une des bases scientifiques de la morale future. La biologie résoudra l’individu vivant en une collection d’êtres vivans, qui, elle-même, ne subsiste, ne se nourrit et ne se développe qu’à l’aide d’une collection plus vaste. La psychologie, dans notre conscience, retrouvera la résultante d’une multitude de tendances élémentaires dont chacune enveloppe déjà, avec une sensation sourde et un sourd appétit, un rudiment de conscience. La science sociale, enfin, nous montrera dans la société un fait plus ancien que la vie individuelle, en ce sens qu’un individu a toujours eu besoin d’autres individus pour naître, pour grandir, et n’a jamais été isolé. L’existence individuelle, — et c’est un des points sur lesquels M. Wundt insiste le plus, — est « relative à l’existence de la tribu, de la famille, de la collectivité. » Enfin, au point de vue de la métaphysique, l’atomisme moral qui aboutit à la théorie de l’égoïsme n’aura pas plus de base qu’au point de vue des autres sciences. Les disciples de Descartes et de Leibniz se figuraient la conscience comme inhérente à une substance qui lui servait de support et qui constituait l’individu même ; l’individu était donc un atome de substance, un petit morceau infinitésimal de l’être, un indivisible grain de poussière spirituelle, une petite prison cellulaire « sans fenêtres sur le dehors, » ou avec des fenêtres bien garnies de barreaux. Dès lors, l’abnégation devenait trop difficile à cet être qui, en vertu de la loi universelle, ne pouvait que « tendre à conserver son être, » ou, pour parler le langage moderne, était soumis en esclave à la loi de la conservation de la force. La notion d’une substance spirituelle n’était, au fond, que celle d’une matière spirituelle, car ce support brut et sans pensée où vient apparaître, comme un feu follet dans la nuit, le mode appelé pensée, qu’est-ce autre chose, — Berkeley et Kant l’ont fait voir, — qu’une représentation de l’esprit sur le modèle de la matière ? M. Wundt, dans son Éthique, insiste particulièrement sur la fausseté métaphysique de l’atomisme moral. L’imagination seule, selon lui, éprouve le besoin de chercher sous