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proposer un philosophe dévoyé, que la physiologie ne serait responsable d’une vivisection d’enfant entreprise par quelque médecin fanatique des prétendus droits de la « science. » Encore la vivisection physiologique aurait-elle un but déterminé et pourrait-elle aboutir à une découverte déterminée ; mais quel est le psychologue assez naïf pour instituer de bonne foi une « expérience » de séduction ? Qu’y a-t-il là de nouveau à découvrir, et que pourrait démontrer une pareille expérience, sur un individu, sinon que les jeunes filles sont sensibles à la pitié, à la reconnaissance, aux soins affectueux, tentées par l’inconnu, retenues par la pudeur, — et autres vérités vieilles comme le monde ?

Nous ne saurions donc admettre l’éthique renouvelée des stoïciens et de Spinoza à laquelle s’arrête le héros de M. Paul Bourget, sur l’autorité des Taine, des Renan et des Littré : « Considérer sa propre destinée comme un corollaire dans cette géométrie vivante qui est la nature, et par suite comme une conséquence inévitable de cet axiome éternel dont le développement indéfini se prolonge à travers le temps et l’espace, tel est l’unique principe de l’affranchissement. » — Le principe de l’affranchissement n’est point de consentir à la géométrie aveugle de la nature, mais de réagir par la réflexion clairvoyante de la pensée ; ce n’est pas de suivre la nature, mais de la devancer par la conception de l’idéal. Être déterminé par l’amour de cet idéal, c’est le réaliser en soi dans la même mesure, et c’est être pratiquement libre par rapport aux motifs inférieurs. L’homme, nous l’avons vu, a le pouvoir de s’universaliser en quelque sorte, de vouloir une fin universelle, de vouloir universellement ; et ce pouvoir, c’est la volonté même en sa source la plus profonde. Or, loin d’être une nécessité et une contrainte, il apparaîtra sans doute de plus en plus aux générations à venir comme une délivrance des nécessités et des contraintes résultant de la lutte pour la vie, conséquemment comme une liberté. Il ne s’agit plus ici, sans doute, d’un libre arbitre indéterminé, prêt à tout, suspendu et indécis entre les contraires, et comme en équilibre instable : il s’agit d’une volonté positive, non ambiguë, qui va au tout et à l’unité du tout, qui est libre par cela même qu’elle n’est pas restreinte à quelque partie et que, se portant au tout, elle n’a plus rien à demander au-delà.


Le second élément de l’idée du devoir, c’est l’obligation. On peut, avec Kant, définir l’obligation morale l’intérêt supérieur pris à l’idée de l’universel ; mais Kant, ne voyant dans cette idée qu’une forme sans contenu, ne pouvait Voir dans l’obligation qui s’y attache qu’un inexplicable « mystère. » On se souvient des pages