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dans une ignorance invincible relativement à l’avenir du monde moral. Nul ne peut démontrer l’espérance, mais nul ne peut démontrer le désespoir : l’optimisme et le pessimisme seront toujours deux hypothèses incapables de vérification et de démonstration au point de vue de la science ; au point de vue de la morale, elles ne seront jamais d’égale valeur : l’optimisme moral, c’est-à-dire l’espoir d’un progrès mental indéfini dans le monde, a pour fondement l’idée morale elle-même, dont le pessimisme moral est la négation.

Dans notre siècle, nous sommes encore entre la science qui, après avoir cherché la moralité en son domaine, dit à la fin avec Faust : « Bien, » et la métaphysique qui répond : « Au-delà, peut-être, » La conclusion est toute pratique : au lieu de s’abstenir dans le doute, il faut agir au contraire : quelque problématique que soit l’idéal désiré, il faut espérer quand même, lutter pour lui, mourir pour lui. N’y eût-il dans l’infinité du temps et de l’espace qu’une seule chance de faire triompher le bien, il faut la poursuivre. L’humanité est peut-être, dans la grande bataille de l’univers, comme les soldats que la Légende des siècles nous montre placés au pivot de l’action, sur un cimetière rempli de tombes, avec la consigne de tenir jusqu’au soir ou de mourir en combattant. Le soir vient, la brume de la mêlée où chacun tirait sans voir la portée de ses coups, se dissipe : presque tous sont morts, quelques-uns restent ; morts et vivans, sans le savoir, ont décidé du sort d’un peuple, et c’est grâce à leur héroïsme que s’élève enfin le cri de victoire :


— Par qui donc la bataille a-t-elle été gagnée ?
— Par vous.


Alfred Fouillée.