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s’ouvrent, et ces masses, jusque-là resserrées, fixées au sol, prennent leur essor… en avant ou en arrière, suivant le sort des armes. Une nouvelle période, subséquente et subordonnée, commence, qui à son tour verra se reproduire ces quatre phases d’une inégale valeur en importance et en durée : la concentration, la marche d’approche, la bataille, la retraite ou la poursuite. Telle est l’éternelle synthèse de la guerre.


La première phase, dans l’ordre des faits, est aussi pour la cavalerie la principale.

Qu’on se représente par la pensée ces deux armées, ou plutôt ces deux nations accumulées sur leurs frontières. Au début, elles sont plongées dans une obscurité troublante. Elles ne savent rien, sinon que non loin, à quelque soixante kilomètres, des masses ennemies, aussi puissantes, sont prêtes à se ruer sur elles. Alors commence entre les deux généralissimes une lutte sourde, lutte de pénétration, d’intelligence, de résolution. Que va faire cet adversaire invisible et insaisissable ? Est-il impatient ou hésitant, résolu ou timide ? Viendra-t-il par le centre ou sur les ailes ? Doit-on le prévenir ou l’attendre ?.. Il faut cependant en finir avec cet inconnu1 plus terrible que le danger même. Qui le premier osera rompre cette immobilité pleine d’angoisse ? Qui, prenant l’initiative, déchaînera l’orage ?

La réponse est facile.

Dès le premier jour les deux cavaleries se sont mises en route. Lancées dans ce mystérieux espace qui sépare les fronts de concentration, elles doivent soulever le voile jeté sur les dispositions ennemies et s’opposer à toute tentative du même genre de la part de l’adversaire. Dans l’exécution de leurs missions identiques, mais opposées, elles vont nécessairement se rencontrer et se combattre. De l’issue de cette lutte dépend le succès des premières opérations[1]. Victorieuses, elles procurent la lumière et l’espérance ; elles montrent, au travers de leur trouée, la route triomphale qui mène à un adversaire surpris, démoralisé, aveugle et inerte. Vaincues, elles reviennent s’abattre sur leurs propres lignes, rapportant dans leurs flancs meurtris le triste présage de la défaite[2].

Ainsi, entre ses mains, la cavalerie détient le premier enjeu. Toujours maintenue sur le pied de guerre, elle a le périlleux honneur d’ouvrir la campagne. Par ce seul fait, elle porte une

  1. « Actuellement encore, une bonne cavalerie est le meilleur moyen pour dominer les opérations. » — (Baron von der Goltz, la Nation armée.)
  2. « Quelque système que l’on adopte, il ne paraît pas moins incontestable qu’une nombreuse cavalerie doit avoir une grande influence sur les résultats d’une guerre. » — (Jomini, du Rôle de la cavalerie.)