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Sous l’empire de ces idées, et en prévision de ce duel rapide, mats décisif, la cavalerie allemande a modifié ses règlemens. L’œuvre jusqu’alors respectée des Wrangel, des von Schmidt, des Frédéric-Charles, a été modifiée. La tactique des trois lignes, — c’est-à-dire de la division formée pour combattre en trois échelons d’égale force, — cette tactique manœuvrière, souple, fertile en combinaisons variées, a cédé le pas à une conception plus simple et surtout plus offensive. Le nouveau règlement d’exercices du 10 avril 1886, modifiant celui de 1870, a consacré cette évolution. Le centre de gravité est reporté tout entier en avant, sur la ligne d’attaque. La première ligne est considérablement renforcée aux dépens des deux autres ; ces dernières elles-mêmes sont rapprochées ; si bien qu’en réalité la division entière s’élance au combat en un seul bloc et risque toute sa fortune sur un unique enjeu. Cette tactique est assurément discutable. Elle pourra peut-être obtenir la sanction d’un court succès, — car tout arrive à la guerre ; — il lui manquera toujours une base rationnelle et solide. Quoi qu’il en soit, on n’en peut méconnaître la signification. Elle dénote chez nos adversaires la conviction absolue que le service stratégique de l’exploration aboutira à une collision tactique ; elle montre qu’ils ont prévu ce duel, qu’ils le désirent, qu’ils sont résolus à le rendre inévitable.

Le temps des recherches théoriques est donc passé. Il ne s’agit plus d’approfondir l’art de combattre depuis les Grecs et les Romains et d’échafauder une tactique abstraite, générale, également bonne au nord ou au midi, en Algérie ou en Europe, au-delà des Alpes ou au-delà des Vosges. Il s’agit simplement d’aboutir. A une éventualité positive il faut opposer une tactique précise. La maxime allemande : Die Reiter-Massen stets voraus (les masses de cavalerie toujours en avant) nous dicte notre devoir. Elle impose une organisation et une instruction uniques, rationnelles, de toute la cavalerie française réunie, dès le temps de paix, en fortes masses, pour se préparer à la guerre.

Admettons cependant que cette « grande lutte » des deux cavaleries ait pris fin. Entre ces masses se ruant en sens inverse. Ce choc s’est produit. Et, par cette expression, on doit entendre non pas seulement le heurt matériel, l’abordage, mais surtout cette collision de deux volontés dont l’une est supérieure à l’autre, cette mise en présence de deux troupes dont l’une l’emporte en moral, en habileté manœuvrière, en force d’impulsion. A la suite de cette rencontre, le plus faible s’est débandé, puis s’est enfui éperdu ; l’autre a pris un nouvel et plus puissant essor. Moralement et tactiquement, il est le maître ; il a balayé les obstacles, il a brisé les liens ; il court librement à l’accomplissement de sa mission.