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cuisinière ! Mais en riant largement, ils justifiaient le poète. Après Molière en s’enfonça dans la même voie, on descendit plus bas. On s’attacha à peindre les mœurs basses, populaires, tout ce qui, vivant à côté ou au-dessous du monde, a pour le monde l’intérêt pittoresque de l’inconnu, l’agrément du ridicule ou la saveur du scandale. La comédie s’encanailla moins parce que la société se corrompait que parce qu’elle voulait du vrai qui la fit rire ; et ce vrai-là, on ne le voyait plus guère dans la vie des honnêtes gens.

Il est aisé de voir maintenant comment la comédie du XVIIe siècle se continue et s’achève en Regnard, Dancourt et Le Sage. « Regnard, dit fort bien M. Jules Lemaître, est un Montfleury qui a plus de style. » S’il touche à Molière, c’est par la moins forte, non la moins gaie partie de son œuvre : par l’Étourdi et par les Fourberies de Scapin, par les cascades imprévues de l’action renouvelée de Plaute et des Italiens. Il a le rire étincelant, le vers sonore, l’intrigue folle, les mœurs extravagantes. La gaieté chez lui voile la vérité. Cependant le fond de toute cette gaieté, c’est l’égoïsme débridé, l’appétit violent du plaisir : nul respect, nulle délicatesse, nulle honnêteté ; tout par l’argent et pour l’argent. Jusque-là il n’y avait que les vieillards qui sacrifiaient l’amour à l’argent : dans le Légataire, dans le Joueur, voici que les jeunes gens sont plus avides d’argent que d’amour ; est-ce pure fantaisie de l’auteur ? À cette heure, dans la dissolution des principes qui ont fait la force du XVIIe siècle, à la veille de la régence et du système, le théâtre de Regnard n’est pas si fou qu’il en a l’air : l’œuvre est plus sérieuse que l’auteur. Dancourt et Le Sage se tiennent plus près de la réalité, et comme ils aiment aussi les vives couleurs et le franc comique, ils descendent aux mœurs plus basses ou plus mauvaises. Chez Dancourt, ce ne sont que paysans finauds, commissaires, greffiers, procureurs âpres au gain, chevaliers effrontés qui vivent de l’amour ou du jeu, marquis de contrebande, comtes ruinés prêts à se vendre, bourgeoises enragées de leur roture et impertinemment orgueilleuses, ingénues savantes et délurées : tout un monde, enfin, amusant, pittoresque, mais frelaté, irrégulier, qui n’est ni le vrai peuple, ni la vraie bourgeoisie, ni la vraie noblesse, monde d’exception, de déclassés et de parvenus où, du haut en bas, tout adore l’argent, tout aspire à l’argent, où la vanité même n’est que la conscience de l’argent qu’on a. Le Sage, dans son unique chef-d’œuvre, nous donne encore pis : un traitant, ancien laquais, suffisant, ignorant, fripon sans scrupules et sans pitié, une veuve équivoque qui le pille, un chevalier joueur qui exploite la veuve, un valet et une soubrette unis pour voler le chevalier, la veuve et le traitant, voilà de curieux drôles. Où sont les honnêtes