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écoles les plus opposées, concourent alors à pousser la comédie hors de la libre gaieté dans la décence spirituelle. Le salon correct de Mme de Lambert, la cour guindée de Sceaux, les roués du Palais-Royal et les cyniques du Temple, les nouveaux précieux sectateurs de La Motte et de Fontenelle, les classiques respectueux de La Bruyère et de Boileau, Voltaire que Rabelais effarouche et qui goûte Quinault, tous méprisent le franc rire au théâtre comme grossier et populaire.

Molière est le génie révéré, le maître qu’on adore, mais on regarde comme indignes de lui les deux tiers de son œuvre. Au lieu d’y voir la production spontanée de son génie, on en fait l’obligation de son métier, un abaissement généreux du grand homme qui assure la recette pour nourrir sa troupe. On reprend les distinctions dédaigneuses de Fénelon et de La Bruyère ; on fait les mêmes réserves que Boileau, et même ce qu’il y a de plus noble et de plus délicat dans l’œuvre de Molière, ce qu’on aime et admire sincèrement, on ne l’aperçoit qu’à travers la théorie de l’Art poétique. On y voit l’exacte application des doctrines de Boileau. A vrai dire, Boileau fut l’inspirateur, le patron de la comédie du XVIIIe siècle. Imiter la nature, mais la nature noble, peindre la cour et la ville, c’est-à-dire la vie mondaine et les caractères qui se trouvent dans le monde,


……. un prodigue, un avare,
Un honnête homme, un fat, un jaloux, un bizarre,


éviter le bouffon et le populaire, chercher l’agréable et le fin, semer les bons mots, sans sortir du bon sens et rendre les sentimens avec délicatesse, voilà l’idéal que propose Boileau et que le XVIIIe siècle a réalisé plus que le XVIIe.

Ce ne fut pas la seule façon dont s’exerça l’influence de Boileau. Du moment que l’on faisait passer au premier rang parmi les qualités d’une comédie le goût et le style, toute différence essentielle entre le livre et le théâtre s’évanouissait. Or le livre avait été plus prompt que le théâtre à s’adapter à la politesse de plus en plus raffinée du siècle. L’esprit plus aventurier des écrivains dramatiques, leur vie moins enfermée dans la bonne société, le contact de la foule mêlée qui s’agite autour des acteurs, l’état de comédien qui mettait hors du monde quelques-uns d’entre eux, et des plus grands, tout cela avait dû soustraire la comédie au goût académique et à l’esprit des salons. Il arriva donc naturellement qu’on chercha dans les livres l’idée du comique de bon ton, qu’on ne trouvait pas suffisamment réalisée au théâtre. On l’aperçut dans un genre dont l’objet, analogue à celui de la comédie, était la