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luttes d’écoles et de doctrines, l’affaiblissement de l’autorité, l’esprit de persiflage et d’ironie, tout semblait lui rendre le succès facile en ce genre. Rien toutefois ne parut, ou peu de chose : quelques fantaisies vraiment peu meurtrières de Delisle et de Marivaux, les essais médiocres et seulement injurieux de Palissot et de Voltaire, le fatras encyclopédique et féerique de Tarare, ne méritent pas vraiment qu’on évêque à leur propos le souvenir d’Aristophane. D’où vient cette pauvreté inattendue ? La censure a pu gêner les auteurs, non les glacer : il y a une cause plus profonde qui explique que, là comme dans les autres genres dramatiques, le XVIIIe siècle ait si peu produit d’œuvres durables, et j’y reviendrai tout à l’heure. Il ne reste donc que le Mariage de Figaro pour représenter un genre, où l’art, qui, selon Aristote, a pour objet le général, revêt d’une forme idéale et impérissable ce qu’il y a de plus particulier et de plus passager, les passions politiques d’une génération. Le siècle s’est passé, et Figaro n’a peut-être pas encore de pareil chez nous, malgré Rabagas.

Nous voilà à la fin du siècle, et nous pouvons voir ce qu’il a fait de la comédie. Il a voulu inventer, et ce qu’on ne saurait trop remarquer, il semble las et désillusionné de son invention. La sensibilité qui a aidé le drame bourgeois à naître le fait doucement mourir. Dans les premiers temps, les âmes avides d’émotion ne trouvent rien d’assez saisissant, d’assez effrayant ; on aime à se sentir le cœur serré, à répandre des torrens de larmes. Mais sous Louis XVI, l’optimisme triomphe et fait préférer l’attendrissement douceâtre aux déchiremens violens. On ne peint plus la vertu désespérée, on l’aime heureuse ; elle est touchante par essence, et il suffit qu’elle soit, sans agir et sans souffrir, pour que les yeux deviennent humides. Un enfant dans un berceau remue les bras et vagit : à ce tableau d’innocence, toute la cour déborde d’enthousiasme et d’émotion. Même sous la Révolution, les âmes que la réalité fait si violentes, gardent cette fade mollesse au théâtre ; jamais on n’a vu plus d’idylles sur la scène : « La comédie, dira bientôt Marie-Joseph Chénier, a regagné des qualités qu’elle avait perdues, le naturel et la gaité ; il lui reste à regagner encore la profondeur dans le choix des sujets et la hardiesse dans l’exécution. » Entendez le naturel de Collin d’Harleville, un sous-Destouches, et la gaîté de Picard, un sous-Dancourt. En somme, on a quitté Diderot sans revenir à Molière, la comédie a achevé de se vider ; il ne lui reste à l’entrée du XIXe siècle que de la bonne humeur, l’observation des ridicules légers et des sentimens superficiels, un style agréable, un vers correct, l’art de faire un plan et parfois l’instinct du mouvement scénique. Cependant, par suite des tentatives faites pour élargir l’art, — sans compter que deux genres sont nés : opéra comique