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semble pourtant pas que, sauf cette discipline rigoureuse, son père se soit jamais montré bien cruel envers lui. Il le condamnait à ressasser des gammes et des arpèges, il lui interdisait toute improvisation ; mais il ne l’empêchait nullement de s’amuser, le travail fini. Le petit Louis allait jouer dans le sable du Schlossgarten avec ses frères et des enfans de son âge ; il faisait de lointaines promenades au bord du Rhin ; ou bien encore il se livrait, dans la cour de la maison, à d’interminables parties de balançoire, en compagnie des petits Fischer.

Il avait sept ans lorsque son père s’avisa enfin qu’il lui fallait savoir autre chose que la musique. On le mit à l’école dans un pensionnat élémentaire, puis dans une autre pension où les enfans se préparaient à passer l’examen d’admission du gymnase ou lycée. Beethoven resta dans cette école, — en qualité d’externe, — jusqu’à douze ans. Il s’y rendait tous les jours de sept heures à onze, et d’une heure et demie à sept. On lui apprenait à lire, à écrire ; on lui enseignait les rudimens du latin ; mais surtout on lui faisait étudier le catéchisme en vue de sa première communion. Les leçons s’accompagnaient d’une discipline très sévère, et la vie de l’enfant devenait réellement très dure, d’autant plus que, sitôt revenu chez lui, il devait se remettre à ses exercices détestés.

En 1779, le père de Beethoven, toujours préoccupé de hâter l’éducation musicale de son fils, lui donna un nouveau professeur, Tobias Pfeiffer, le ténor du théâtre, qui demeurait dans la même maison. C’était un assez bon musicien, mais ivrogne, lui aussi, et d’une irrégularité qui souvent forçait l’enfant à se relever la nuit pour prendre une leçon qu’il n’avait pu recevoir dans la journée. Cet enseignement dura peu : moins d’un an après, Pfeiffer quittait Bonn, et Beethoven passait aux mains d’un vieil organiste flamand, van der Eeden, ami de son défunt grand-père (1780).

Tels sont les faits principaux des dix premières années de la vie de Beethoven : il est facile de se représenter l’influence qu’ils ont dû exercer sur le développement de sa nature morale.

D’un caractère tendre et sentimental, l’enfant s’attachait profondément à sa mère, à son grand-père, qu’il voyait si empressés autour de lui. À la mort du vieillard, Mme van Beethoven, sentant l’isolement où la laissait son mari, et l’impossibilité de compter sur lui pour soutenir une famille qui menaçait de s’accroître encore, habitua son petit Louis à se considérer comme le futur chef de la maison : elle lui donnait ce sentiment de responsabilité qui ne devait plus le quitter, et dont ses frères, plus tard, devaient souvent tirer profit. Dans les longues journées qu’elle passait en tête-à-tête avec son fils, elle lui confiait les embarras de la