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situation, le manque d’argent, l’augmentation des charges : et l’enfant y acquérait un sérieux précoce que fortifiait encore, quelque temps après, la nécessité où le mettait son père de faire de rapides progrès en musique. Les exercices continuels de piano et de violon, l’école, qui prenait le reste de la journée, tout cela explique l’allure silencieuse et réservée qu’ont notée tous les témoins de ces premières années de Beethoven. On ne le voyait pas, dans l’intervalle des classes, prendre part aux jeux de ses camarades : il restait à l’écart, passait la plupart de ses momens libres à s’amuser seul. Il se sentait séparé de ses insoucians compagnons d’études par sa situation, par les devoirs qui pesaient sur lui et le rôle qu’il jouait dans sa famille. Peut-être aussi était-ce un sentiment de honte qui l’empêchait d’épancher au dehors sa gaîté d’enfant : il avait une nature fière et hautaine, qui devait lui permettre, plus tard, de se trouver tout de suite à l’aise dans les sociétés les plus aristocratiques, et de s’y imposer avec tous ses caprices. Il est sûr en tout cas que cette attitude renfrognée du petit écolier n’était pas l’effet d’une humeur sombre et chagrine : il lui suffit de se sentir plus libre, dès sa quinzième année, pour reprendre tout le joyeux entrain de son âge. En revanche, il ne devait pas quitter le besoin d’indépendance et de spontanéité qu’avaient fait naître en lui ces années de sujétion : il devait toujours garder aussi son ardent attachement pour sa famille, et la conscience d’avoir à soutenir les siens, à travers la vie. C’est ainsi que, somme toute, l’enfance de Beethoven ne lui a pas été funeste : elle n’altéra en rien sa bonté native ; elle mûrit de bonne heure sa faculté de sentir ; elle lui donna la notion de la gravité de sa tâche et de sa dignité personnelle.

Au point de vue intellectuel, ces premières années ne paraissent pas avoir eu d’aussi heureuses conséquences. La mère de Beethoven l’avait instruit du catéchisme et de la sévère morale qui resta toujours son dogme essentiel ; mais la pauvre femme ne pouvait lui enseigner autre chose, et il n’apprit absolument rien à l’école où il alla. Ni la grammaire, ni l’orthographe, ni l’arithmétique ne lui furent jamais révélées : il parvint à lire couramment, à écrire d’une façon à peu près lisible, voilà tout. Encore son écriture devait-elle, par la suite, cesser tout à fait d’être déchiffrable, sans que son orthographe et la construction de ses phrases soient devenues moins fantaisistes. Cette insuffisance de connaissances premières dont Beethoven ne s’est jamais consolé, n’a pas eu pourtant de trop funestes conséquences : et peut-être le sérieux préjudice qu’elle lui a causé s’est-il trouvé racheté par certains avantages. Peut-être est-ce pour n’avoir pas fréquenté trop tôt les