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qu’il remplissait au théâtre, était devenue chez lui d’une rare perfection : il déchiffrait avec une aisance inouïe et réduisait tout de suite au piano les partitions les plus compliquées. Enfin, Beethoven commençait déjà dès lors à montrer ce singulier génie d’improvisation qui devait plus tard plonger dans l’étonnement les plus prévenus et les plus hostiles de ses auditeurs.

Rien n’empêche de penser que Beethoven n’ait été, aussi, un excellent organiste. Il adorait l’orgue : il ne pouvait passer devant une église, dans ses fréquentes promenades aux environs de Bonn, sans vouloir entrer et monter à l’orgue. Là encore, sans doute, il se livrait de préférence à l’improvisation. Il n’a guère écrit de morceaux d’orgue, dans la suite de sa vie : mais le rôle qu’il a donné à cet instrument dans sa Messe en ré suffirait à prouver combien il était resté au courant de ses ressources et de ses avantages.

Le père de Beethoven n’avait jamais songé à faire de son fils un compositeur : il jugeait suffisant qu’il apprît l’orgue, pour devenir organiste, et le piano, pour donner des concerts ou tout au moins des leçons. C’est Neefe qui, peut-être à la demande de l’enfant, eut l’idée de lui enseigner l’harmonie : elle était indispensable à un bon organiste, et puis Neefe n’était pas fâché de régler et d’assagir le flot impétueux d’idées musicales qu’il sentait chez son élève. L’harmonie dont il l’instruisait « à ses instans de loisir » comprenait, avant tout, la lecture des basses chiffrées, science dont Beethoven, en sa qualité de pianiste accompagnateur, avait un besoin tout particulier. Il lui expliquait les divers accords et leurs relations, d’après le système, alors en faveur, de la basse fondamentale. Les principes d’harmonie de Neefe avaient d’ailleurs, comme ceux de son maître Hiller et de son auteur préféré Kirnberger, des indulgences généralement peu admises, et dont son élève ne devait jamais cesser de se souvenir. C’est ainsi que Beethoven, à toutes les époques de sa vie, s’est permis de redoubler librement des notes prolongées.

Après la science des accords venait la science du développement. Neefe montrait à son élève le moyen d’étendre un motif, de moduler ; il lui faisait faire, suivant la mode du temps, des cycles, ou promenades d’un chant à travers tous les tons ; et il semble bien que les deux Préludes dans tous les tons majeurs, op. 39, aient été des exercices imposés à Beethoven par son professeur. Les modulations y sont correctes et assez variées, se faisant tantôt par voie chromatique, tantôt par voie diatonique : et souvent une série d’accords imprévus viennent donner à ces devoirs d’écolier une ampleur déjà toute lyrique.