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musicale : il s’y imprégnait des chefs-d’œuvre de la musique tout expressive de Gluck, de Salieri, de Mozart et des maîtres du vieil opéra comique français.

Il nous reste à dire quelques mots des œuvres qu’il produisit pendant cette période de sa jeunesse. Quelques mots suffiront d’autant plus qu’un simple coup d’œil jeté sur ces ouvrages, les Variations sur la marche de Dressler, les trois Sonates dédiées à l’archevêque de Cologne, le Rondo en la majeur, montre assez leur insignifiance. Aucun de ces ouvrages n’offre le moindre rapport ni avec l’enseignement que recevait le jeune homme lors de leur publication, ni avec ce que l’on peut conjecturer de sa nature et de ses tendances. Les variations sont la nullité même, vides de la moindre recherche de forme ou d’expression. Les sonates, correctement imitées de Haydn, manquent d’originalité non moins que d’agrément. Il y a bien, dans le début de la seconde, une tendance à entremêler des sentimens opposés, et, dans le finale, un motif d’allure assez franche, avec quelques imitations aimables. Mais, en somme, rien de tout cela n’a une valeur quelconque, et il ne convient pas d’en donner pour seule raison les treize ans de l’auteur, si l’on songe que cet enfant de treize ans avait étudié le contrepoint, qu’il était organiste, qu’il avait une maturité d’esprit au-dessus de son âge ; enfin, qu’il avait une âme d’artiste très originale. A notre avis, toutes ces œuvres, publiées sitôt composées, avec, sur la couverture, l’âge (fictif) de l’enfant et de plates dédicaces en style irréprochable, ce sont des morceaux que le père imposait à son fils, du jour où il le voyait résolu à étudier la composition. Le digne Jean voulait que cette étude profitât du moins à son fils et à lui-même, tandis que l’âge du jeune pianiste pouvait encore attirer l’attention sur lui et la rendre indulgente. Et Beethoven, sans doute aidé par Neefe, faisait cela comme un devoir. L’idée de se voir imprimé ne lui déplaisait pas : il rédigeait avec soin et prudence, soucieux d’éviter toute excentricité.

La preuve de cette hypothèse nous paraît aisée à fournir. Avant même les trois sonates, Beethoven avait composé d’autres morceaux qu’il ne destinait pas à l’impression et qui furent publiés beaucoup plus tard, bien que l’on ait conservé les manuscrits originaux datant de ces années enfantines. Ce sont, par exemple, six des Sept Bagatelles, op. 33, éditées en 1803 à l’insu du maître, par les soins de son frère ; c’est la Fugue à deux voix pour orgue, écrite en 1782 ; ce sont encore quelques motifs des trois Quatuors pour piano, violon, alto et violoncelle, écrits en 1785.

La Fugue est une œuvre d’enfant, gauche, incorrecte, avec de mauvaises imitations et des transitions banales : mais elle est tout