Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/446

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

agoniser cet être qui avait été pour lui tout au monde, sa mère, son constant soutien. Il eut à la voir s’épuiser en souffrances terribles, à l’entendre se lamenter sur l’avenir de ceux qu’elle laissait derrière elle. Enfin elle mourut, le 17 juillet 1787. Beethoven crut devenir fou. C’est peu de temps après qu’il écrivit à son hôte d’Augsbourg, M. de Schaden, une lettre qu’il est impossible de ne pas citer[1] :


« Très noble et particulièrement digne ami,

« Ce que vous pensez de moi, je puis sans peine le deviner, et que vous ayez un juste fondement pour me juger à mon désavantage, je ne puis vous le défendre : mais je ne veux pas m’excuser avant de vous avoir montré les causes par où j’ose espère que mes excuses pourront vous sembler acceptables. Je dois donc vous faire savoir que, depuis que je suis parti d’Augsbourg, ma joie, et avec elle ma santé, ont commencé à cesser : plus je me rapprochais de ma patrie, plus je recevais des lettres de mon père de voyager plus vite que d’ordinaire, parce que ma mère n’était pas en bonne santé. Je me suis donc pressé aussi fort que je l’ai pu, car moi aussi j’étais bien impatient. Le désir de voir une fois encore ma mère malade mettait de côté tous les obstacles et m’aidait à surmonter les plus grandes difficultés. J’ai vu ma mère encore vivante, mais dans le plus misérable état de santé ; elle était poitrinaire, et enfin elle est morte, il y a à peu près sept semaines, après avoir traversé beaucoup de souffrances de corps et d’âme. Elle a été pour moi une mère si bonne et si aimable, et ma meilleure amie. Oh ! qui donc était plus heureux que moi, lorsque je pouvais encore dire le doux nom de mère et qu’il était entendu ; et maintenant, quand puis-je le dire ? aux images muettes qui lui ressemblent et que reconstitue mon imagination ! Depuis si longtemps que je suis ici, j’ai encore trouvé peu d’heures agréables ; tout le temps j’ai été pris par des étouffemens et j’ai à craindre qu’il n’en sorte une phtisie. Et là-dessus vient encore la mélancolie, qui est pour moi un mal tout aussi grave que la maladie. Pensez à présent à ma situation, et j’espère obtenir votre pardon pour mon long silence. L’extraordinaire bonté et amitié que vous avez eues de me prêter à Augsbourg trois carolins, je dois vous prier d’avoir encore un peu de patience avec moi : mon voyage m’a beaucoup coûté et je n’ai ici aucun subside, pas le moindre à espérer. La destinée ici, à Bonn, est pour moi sans pitié.

  1. Nous avons essayé de rendre, par une traduction littérale, l’incorrecte singularité de ce style.