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noter, comme seul il l’a su parmi les musiciens, toutes les phases et tous les détours d’une émotion. L’amour passionné de la simplicité, sa devise favorite : « Beaucoup d’effets avec peu de moyens, » n’est-ce pas dans la littérature classique qu’il a trouvé la confirmation de ces tendances que lui suggérait sa nature, mais qui allaient entièrement à l’inverse du goût de son époque ?

Son âme recevait d’autant mieux tous ces enseignemens qu’elle ne cessait pas de se détendre et de s’ouvrir sous l’effet du repos, de la sécurité, du bonheur. La causerie quotidienne avec une élégante jeune fille qui le traitait comme un frère, les fréquens voyages à la campagne en compagnie des Breuning, les conversations de tout genre avec le jeune médecin Wegeler, le futur mari de Mlle Eléonore, avec les deux oncles de cette jeune fille, membres éminens du haut clergé de Bonn, tout cela se joignait pour lui donner la sensation d’un monde ami autour de lui : il cessait de se croire seul, il se reprenait à avoir confiance dans l’avenir.

Sa situation matérielle continuait à s’améliorer. La maison était tenue par une gouvernante ; les frères étudiaient ; le père, à dire vrai, ne sortait plus des tavernes, mais il avait le vin bon enfant et paraît avoir éprouvé dès lors pour son fils la plus respectueuse gratitude. Puis Beethoven avait, pour le mettre tout à fait à l’abri des soucis d’argent, de nombreuses leçons que lui avait procurées Mme de Breuning et dont il s’acquittait avec une grande conscience, sinon avec un vif enthousiasme.

Il trouvait enfin le loisir de songer qu’il était jeune. Souvent il allait, le soir, dans une brasserie où se réunissaient des compagnons de son âge et où les beaux yeux de la fille de la maison, Babette Koch, l’excitaient à causer et à aimer la vie. Il se prenait d’un amour passionné et romanesque, successivement pour Mlle Jeanne d’Hondrath, « une vive et jolie blondine, adorant la musique, douée d’une voix très agréable, » et pour Mlle de Westerhold, qui était « belle et polie. » Des excursions sur le Rhin, notamment un joyeux voyage en bande à Mergentheim, séjour d’été de l’électeur, achevaient de faire au jeune homme une existence active, gaie, toute différente de celle qu’il avait connue autrefois.

Il faut encore mettre au premier rang des bonheurs de cette heureuse période la connaissance que fit Beethoven d’un grand seigneur autrichien, attaché à la cour de Bonn, le comte Waldstein. Musicien lui-même, cet aimable homme se prit aussitôt d’enthousiasme pour son jeune ami. Il l’aidait de toute manière, venait le voir très souvent, lui faisait don, entre autres choses, d’un magnifique piano, le chargeait de composer la musique d’un de ses ballets, que le théâtre de Bonn exécutait quelque temps après en grand apparat.