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graves questions. Contentons-nous de rappeler ce que chacun sait, qu’il y a deux explications de ce parallélisme des religions ; l’explication orthodoxe, qui voit partout un reflet des dogmes chrétiens, les vestiges obscurcis d’une révélation originelle ; l’explication de la science libre, mais respectueuse du divin, qui voit dans l’univers le foyer d’un vaste travail d’épuration, où l’idée religieuse, une sous des vêtemens dissemblables, va toujours s’élevant, s’illuminant à mesure qu’elle atteint des races supérieures. Il n’y a aucune incompatibilité radicale entre les deux explications ; une vue assez large pour embrasser et concilier ces deux aspects de la vérité, voilà ce qu’il faut souhaiter à tous ceux qui ne sauraient trouver hors de cette vue la paix de l’intelligence.

La curiosité attire le visiteur à l’Esplanade ; un autre sentiment l’y retient. Cette partie de l’Exposition témoigne de l’effort considérable que la France a fait au dehors depuis ses malheurs. Tous ces exotiques, avons-nous dit, sont nôtres à quelque degré ; ils représentent pour nous de lourdes charges et de grands espoirs. Entrons dans le palais central des colonies, faisons le tour des sections qu’il récapitule, rappelons-nous l’histoire qu’il raconte ; si l’on avait voulu nous montrer dans l’édifice une image exacte de cette histoire, il eût fallu le diviser en deux moitiés, donner à la première l’aspect d’un tas de ruines et laisser la seconde en construction. Le tas de ruines, ce serait l’empire colonial d’autrefois, celui qui a sombré à la fin du dernier siècle et au commencement du nôtre ; nous en retrouvons ici les petites épaves : quelques lambeaux de terre sur les côtes des Indes et de la Guyane, quelques îles, la Réunion, la Martinique, la Guadeloupe, et des îlots de moindre importance. La construction récente nous parlerait de l’empire colossal que nous sommes en train de refaire, avec ces trois morceaux du globe dont chacun dépasse en superficie le territoire de la mère patrie : la France arabe, au nord de l’Afrique ; la France noire, au cœur de ce continent ; la France jaune, tout au bout de l’Asie. Et ce nouvel empire s’est élevé en quelques années, si l’on excepte l’Algérie, qui relie l’une à l’autre les deux périodes si tranchées de nos entreprises d’outre-mer.

La conquête algérienne a sa physionomie à part ; c’est un appendice au vieux poème des croisades, un chant d’épopée plutôt qu’une page d’histoire coloniale. Nous avons refait là notre apprentissage de colonisateurs contre toutes les règles du métier ; mais notre longue erreur est mêlée à une légende si héroïque, si séduisante pour l’imagination, qu’on n’a pas le courage de la regretter. Qu’elle est déjà loin de nous, cette fantasia de la vie militaire franco-arabe ! Elle date, comme un uniforme du 2e léger dans un