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homme qui a longtemps dirigé les affaires britanniques et pourrait les diriger encore, qui est un grand Anglais, et il est trop sérieux pour ne mettre dans son langage que des banalités de banquets ou des complimens de cérémonie. C’est donc sérieusement qu’il s’est plu à parler de sa bonne volonté et de son respect pour notre pays ; c’est avec une sincérité complète, il n’avait pas besoin d’en donner l’assurance, qu’il a fait des vœux pour « une amitié durable entre la nation française et la nation anglaise, » qu’il a exprimé tout haut le souhait et l’espérance de voir « la France conserver toujours sa place au premier rang des nations chrétiennes et civilisées. » Le témoignage est certes aussi précieux que significatif. Les plus importans journaux de Londres, se piquant d’honneur, ont bien voulu déclarer que M. Gladstone n’avait fait qu’exprimer les sentimens de la nation anglaise tout entière. Rien de mieux. Il est certain que cette « amitié durable » des deux grandes nations occidentales, dont a parlé M. Gladstone, ferait plus pour la paix du monde que toutes ces alliances qui ne se manifestent que par des agitations, par des armemens et des démonstrations suspectes.

Par une coïncidence au moins curieuse que les journaux anglais eux-mêmes ont été les premiers à remarquer, au moment où il n’y a que des paroles pacifiques à Paris, les manifestations bruyantes et menaçantes sont au camp de ceux qui se prétendent les protecteurs, les gardiens de la paix de l’Europe. L’empereur d’Allemagne, qui est aujourd’hui à Minden, en pleines manœuvres militaires, était, il n’y a que quelques jours, à Dresde, où tout s’est passé avec un certain apparat visiblement calculé ; il a eu ses revues, ses banquets où entre Prussiens et Saxons on a échangé aussi des toasts, des discours, et dans tous ces discours, il n’est question, en vérité, que de souvenirs de guerre, d’arméniens, d’excitations belliqueuses. Après vingt années, on est aussi échauffé qu’au lendemain des grandes luttes, on parle comme si on était à la veille de conflits nouveaux. Peut-être s’est-on cru tout au plus obligé d’atténuer pour le bon public l’accent des toasts de l’empereur et du roi de Saxe échangeant leurs impressions guerrières. « Il est à remarquer, disait récemment le Times, que chaque fois que des souverains allemands se rencontrent et parlent en public, c’est toujours la même chanson… L’Europe respirerait plus à l’aise si ces appels se renouvelaient moins souvent et en termes moins emphatiques… » Cela veut dire que, loin de rassurer l’Europe et de l’encourager à la confiance, les prétendus gardiens de la paix ne font qu’entretenir une surexcitation indéfinie et prolonger un état de malaise où il y a comme une menace toujours suspendue sur le continent.

Le fait est qu’il n’y a rien de plus caractéristique, de plus frappant que le contraste si sensible entre les manifestations pacifiques dont l’Exposition française est l’occasion et cette agitation perpétuelle presque mystérieuse où vit l’Europe. Ce n’est point, si l’on veut, qu’il y ait un