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tranquillement, sans souci de plaire à tel ou tel amateur par l’originalité ou la convenance de tels ou tels procédés, s’efforce de le représenter tel qu’il le voit. A cet égard, la Famille de Michel Gérard, membre de l’assemblée nationale, est un morceau plus intéressant encore que le Lavoisier, assis à son bureau, avec sa femme auprès de lui. Dans cette dernière toile, le peintre a dû chercher un arrangement agréable du groupe ; il se sent un peu gêné. Avec le député il en a pris à l’aise : Michel Gérard, en bras de chemise, les poings sur ses genoux, est assis dans sa chambre ; près de lui, ses quatre enfans ; sur le devant, debout entre ses jambes, un petit garçon, son livre à la main, une fillette, assise devant son clavecin ; derrière, deux jeunes gens debout ; tous les cinq sérieux à plaisir, avec de bonnes physionomies qui réjouissent, posant avec une naïve satisfaction. Dans cette peinture, un peu mince, mais serrée, on devine le maître d’Ingres, avec un certain charme de gaucherie loyale qu’Ingres conserva longtemps. Entre le Michel Gérard et le portrait de Madame Récamier, il y a quinze ans d’activité, quinze ans de réflexion. Ne nous étonnons point que ce dernier, à l’état d’ébauche, marque un immense progrès, pour la souplesse et pour l’ampleur. Tout le monde connaît ce chef-d’œuvre de grâce et de simplicité ; son transport du Louvre au Champ de Mars n’a rien pu lui faire perdre, malgré la crudité d’une lumière violente et les surprises d’un entourage mêlé. Que n’a-t-on pu joindre au Michel Gérard et à Mme Récamier quelques-uns des derniers portraits faits par David, en Belgique, durant son exil, de 1815 à 1825, par exemple, les trois Dames de Gand de la collection Van Praet ! On aurait vu le vieux maître prendre, avant d’expirer, sa dernière leçon de ces Flamands chauds et colorés qu’il regrettait d’avoir méconnus. Preuve bien frappante et bien touchante de la sincérité intelligente qu’apportait, dans toutes les choses de l’art, cet homme supérieur dont on s’est plu à exagérer le rigorisme et l’inflexibilité !

La vaste et majestueuse composition du Couronnement de l’impératrice Joséphine est très curieuse sous ce rapport. Lorsque le nouvel empereur donna à l’ancien ami de Robespierre et de Marat, en 1805, le titre de son premier peintre, il lui commanda, en même temps, quatre toiles : le Couronnement, la Distribution des aigles, l’Entrée à l’Hôtel de Ville, l’Intronisation à Notre-Dame. Les deux premières seules furent exécutées. Dans la Distribution des aigles, qui est restée à Versailles, David se dégage mal de ses habitudes scolaires ; le groupe des officiers, porteurs de drapeaux, qui escaladent, en se bousculant, l’estrade impériale, les bras violemment allongés, rappelle singulièrement le trio des Horaces, par la raideur tendue des attitudes, et par l’emphase théâtrale des