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David, il était perdu. La ruine de sa famille, en 1792, l’obligea, par bonheur, à faire des portraits. C’est en travaillant sur les routes qu’il parvint, l’année suivante, à gagner l’Italie, sans pouvoir dépasser Florence et Gênes, où il végéta, mais où il admira, surtout à Gênes, moins les Italiens que les Flamands, Rubens et Van Dyck. En 1796, il connaît à Gènes Mme Bonaparte, qui le présente à son mari, dont il fait le portrait après Arcole ; le général en chef s’intéresse au jeune homme et l’attache à l’année, d’abord comme inspecteur des revues, puis comme membre de la commission chargée de choisir les œuvres d’art à expédier en France. Existence nomade, mouvementée, dans laquelle il y a peu de place pour les études méthodiques et patientes, beaucoup pour l’observation, la réflexion, l’émotion, la vie ! En 1801, à son retour à Paris, Gros obtient, au concours, un prix pour son esquisse du Combat de Nazareth ; en 1804, il expose les Pestiférés de Jaffa, Les pontifes du contour n’attachent pas grande importance à cette œuvre étonnante ; c’est de la peinture de genre, quelque chose comme du Taunay, du Swebach, du Carle Vernet agrandi. Cependant d’autres œuvres suivent, inégales et improvisées, mais non moins nouvelles, non moins ardentes, non moins puissantes, la Bataille d’Aboukir en 1806, le Champ de bataille d’Eylau en 1808, la Bataille des Pyramides en 1810, François Ier et Charles-Quint visitant les tombeaux de Saint-Denis en 1812. Et personne, parmi les contemporains, ne se doute de la révolution que ces peintures portent dans leurs flancs ! Et David continue à témoigner pour son élève une sorte d’indulgence et de compassion humiliantes ! Il espère toujours, il espère quand même, comme il le lui écrira encore dix ans plus tard, que, lorsqu’il le pourra, il abandonnera « les sujets futiles et les tableaux de circonstance » pour faire enfin « de beaux tableaux d’histoire, » c’est-à-dire des Grecs et des Romains ! Le Portrait de Gros à vingt ans et le Général Bonaparte à cheval ont un bel air de jeunesse et d’entrain qui ravit. Le Louis XVIII quittant le palais des Tuileries dans la nuit du 20 mars 1815 sent déjà un homme un peu fatigué, mais qui comprend admirablement tout ce que cherchera la peinture moderne dans la représentation des scènes historiques : vraisemblance et simplicité de la mise en scène, exactitude expressive des attitudes, des gestes, des physionomies, animation générale de l’ensemble par un mouvement de lumière souple et pénétrant. C’est dans le superbe Portrait du général comte Fournier-Sarlovèze qu’éclatent le mieux la liberté et la puissance de ce grand artiste. Rien ne donne mieux l’idée des héros vaillans et fanfarons de l’ère impériale que cette peinture pompeuse et triomphale. Le visage échauffé, les yeux hors de tête,