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magnifique, provocant, insolent dans son uniforme de hussard chamarré d’or sur toutes les coutures, son colback à terre, le poing droit sur la garde de son grand sabre, le défenseur de Lugo vient de déchirer l’offre de capitulation qu’on lui adressait et dont les lambeaux gisent à ses pieds. Dans le fond, s’éloigne, d’un côté, le parlementaire entre des soldats ; de l’autre, une batterie est mise en place sur le rempart. Le morceau est vivant, éclatant, bruyant ; c’était tout le contraire de ce qui se faisait chez David. Ce qu’il y eut d’admirable, lorsque le Fournier-Sarlovèze parut au Salon de 1812, c’est qu’il se trouva qu’un jeune inconnu, un amateur de chevaux, Théodore Géricault, exposait en même temps un Portrait équestre d’officier de chasseurs, exécuté avec la même fougue, qui excita à la fois la surprise et l’indignation : Gros, décidément, n’était pas le seul renégat de la ligne et de l’antique ; d’autres, à son exemple, se permettaient d’admirer les coloristes !


II

« D’où cela sort-il ? » s’écria David lorsqu’il aperçut, au Salon de 1812, l’Officier de chasseurs chargeant. Cela sortait de chez Gros et de chez Rubens, cela sortait de l’amour de la vie, du besoin impérieux qu’éprouvaient tous ces enfans du siècle, nés dans le tumulte de la révolution et de l’empire, d’exprimer le mouvement qui s’agitait autour d’eux, les passions dont ils étaient remplis. On sait comment vint à Géricault cette puissante inspiration. Le jeune homme aimait passionnément les chevaux. Un jour de septembre, en allant à la tête de Saint-Cloud, il vit un robuste cheval gris-pommelé, attelé par de bons bourgeois à une tapissière, se révolter contre ses conducteurs. Hennissant et écumant, cabré, sous le soleil, dans la poussière, le bel animal semblait, aspirer à un plus noble emploi de ses forces. L’imagination du peintre l’aperçut aussitôt, dans la fumée de la poudre, sur un champ de bataille, monté par un de ces brillans officiers qu’il connaissait ; rentré dans sa chambre, il fit, coup sur coup, plusieurs esquisses rapides, loua une arrière-boutique sur le boulevard Montmartre pour y installer sa toile, demanda à l’un de ses amis,. M. Dieudonné, de poser pour la tête de l’officier, à un autre, M. Daubigny, de lui donner le mouvement. Au mois de décembre, tout était terminé.

L’Officier de chasseurs, médaillé au Salon de 1812, reparut, à celui de 1814, en compagnie du Cuirassier blessé. Ces deux belles peintures ne trouvèrent pas d’acquéreurs, elles devaient rester dans l’atelier du peintre jusqu’à sa mort. Dès lors, toutefois, la réputation de Géricault était faite parmi ses condisciples de l’atelier