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Guérin sur lesquels il allait prendre un ascendant décisif par la noblesse de son caractère autant que par la hauteur de son intelligence. Parmi eux, se trouvaient les deux frères Scheffer, Léon Cogniet, Champmartin, auxquels devait se joindre, en 1817, le jeune Eugène Delacroix. La plupart des élèves de Gros, cela va sans dire, se jetaient avec ardeur dans la voie ouverte : c’étaient Charlet, Paul Delaroche, Bonington, Camille Roqueplan, Bellangé, Eugène Lami. D’ailleurs, la révolution était dans l’air, et c’est de tous côtés qu’on voit, à ce signal, sortir et se former, en quelques années, le bataillon des premiers romantiques dont l’ainé, Géricault, n’aura, en 1820 ; que vingt-neuf ans, tandis que les plus jeunes, Bellangé et Lami, entreront à peine dans leur vingtième année. Il en vint, de partout, des ateliers les plus classiques, même de la province ; Pagnost s’échappe de chez David, Robert-Fleury travaille chez Horace Vernet, Decamps grandit chez Abel de Pujol, Eugène Devéria chez Girodet. De 1815 à 1830, toute cette jeunesse, ardente et inquiète, s’agite, s’encourage, se pousse, avec une conviction communicative. A chaque Salon, on en voit quelques-uns apparaître, et leurs débuts sont souvent des coups de maître.

La génération contemporaine a peut-être oublié, plus que de raison, ces vaillans champions de la première heure ; il n’était pas inutile de les lui rappeler. Sans doute, dans l’œuvre de Géricault si vite interrompue par la mort, le Naufrage de la Méduse (1819) reste une page unique ; aucune des peintures qu’on peut exposer ne donnerait une idée complète de sa puissance à ceux qui ne connaîtraient pas le tableau du Louvre, car c’est la seule œuvre exécutée à son retour d’Italie, où il ait eu le temps de réaliser la conception qu’il s’était faite d’une peinture nouvelle. Tout le reste n’est guère qu’ébauches, esquisses, études préparatoires, passe-temps ; cependant il est facile de lire dans ces fragmens ce qu’il voulait et ce qu’il cherchait. Qu’on regarde, dans les peintures, la Charge d’artillerie, les Croupes, le Trompette, ou, dans les dessins, le Nègre à cheval, la Marche de Silène, la Course de chevaux libres, les Taureaux en fureur, l’Hercule étouffant Antée, le Combat, ce qui, frappe partout, c’est la virilité chaude de l’intelligence qui saisit toujours lui vie dans ses manifestations les plus libres, la forme dans ses développemens les plus amples, le mouvement dans ses expressions les plus pathétiques ; c’est en même temps la volonté, énergiquement accentuée, de s’appuyer sur l’expérience du passé pour préparer l’art de l’avenir, de chercher à la fois l’effet et la pensée, la Vérité et la grandeur, le dessin et la couleur. Qu’on ne s’y trompe pas ! Géricault ne répudiait pas David, ni même Pierre Guérin, pour lesquels il professa toujours une touchante