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soit facile d’allier à un travail régulier de production. La médiocrité des facultés, jointe à un tempérament de bon ouvrier, préserve, au contraire, de bien des écarts. Nul n’a plus souffert que Paul Baudry de cette supériorité compréhensive. On ne constate pas les mêmes inquiétudes chez Cabanel, qui, de bonne heure, marcha droit devant lui, ajoutant chaque jour avec conscience quelque habileté à son habileté scolaire, et qui par instans, à force de simplicité confiante, apparut comme un portraitiste supérieur. Le délicieux Portrait de Mme la duchesse de Vallombrosa, le beau Portrait de M. Armand, méritent certainement leur célébrité ; toutefois, il est regrettable, pour la gloire de ce maître distingué, qu’on non ait pu réunir un plus grand nombre. Les Parisiens les connaissent, nous le savons ; mais il y aurait eu profit pour les étrangers à comparer les façons discrètes et délicates qu’apportait Cabanel dans ses analyses de la beauté ou de la distinction féminines avec les manières brutales et impertinentes qui deviennent à la mode.

Les expositions posthumes de Ricard (1823-1872) et de Fromentin (1820-1876) ont assuré leur rang à ces artistes délicats et chercheurs, victimes, eux aussi, dans une certaine mesure, de leur subtile culture d’esprit et de leur dilettantisme anxieux, mais qui compteront pourtant, dans l’évolution moderne, autant par l’influence de leur goût que par la qualité de leurs ouvrages. De Ricard, voici quatre morceaux d’une virtuosité exquise, dans lesquels tour à tour passe le souffle de Van Dyck, de Titien, de Corrège. de Rembrandt, qui exhalent tous le charme d’une individualité extraordinairement discrète et délicate, les Portraits de M. Chaplin, Mme Sabatier, Mme de Calonne, Mlle Baignières. De Fromentin, voici un des plus beaux ouvrages de sa première manière, nette et ferme, moins personnelle, où il recherche à la fois la tenue de Marilhat et l’éclat de Delacroix, l’Audience chez le Calife, puis quelques-unes des peintures finement et délicatement chiffonnées des périodes postérieures, notamment la délicieuse Fantasia de 1869. De M. Gustave Moreau, toujours trop craintif de la lumière, toujours trop fermé dans sa tour d’ivoire, deux pièces seulement, le Jeune homme et la Mort, peint par l’artiste en souvenir de son maître Théodore Chassériau (1865) et la Galatée, au milieu des richesses éblouissantes de la flore aquatique. C’est trop peu pour faire comprendre à des passans d’une heure les fascinations Imaginatives d’un poète raffiné et fécond dont les rêves s’expliquent les uns par les autres, et qu’on aurait eu plaisir à comparer avec les derniers des préraphaélites anglais, ses seuls parens parmi les contemporains. La rareté des œuvres de