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connus ; mais on éprouve grand plaisir à les revoir, car, en aucun temps, les scènes les plus banales de la vie rustique ne furent comprises avec une intelligence si fraternelle et si cordiale, avec un sentiment plus profond de la saine et grande poésie qui émane de la simplicité des âmes et de la simplicité des choses. C’est avec un respect attendri qu’on salue la mémoire de ce noble artiste qui n’a dû sa gloire qu’à son honnêteté et qui nous a laissé, avec les germes d’un art nouveau, l’exemple d’une vie grave, digne et silencieuse.

Rien n’est absolument nouveau sous le soleil, même sous le soleil de la peinture. On peut voir au Champ de Mars une Veillée d’un peintre inconnu. Cals, exposée en 1844, que Millet a pu connaître et qui le prépare singulièrement. Un collectionneur y a aussi envoyé une Foire de Saint-Germain par le sieur Garbet, non moins obscur, exposée en 1837, où l’on est surpris de trouver d’avance-un diapason d’accords solides et durs, un sens fort et brutal de l’observation triviale, qui se retrouveront plus tard chez Courbet. La valeur de Courbet qui, au point de vue technique, est réelle et durable, et qui eut sur les pratiques amollies de l’école une influence utile, n’est cependant point telle qu’il se plaisait lui-même à le dire, et à le taire dire. La réclame, naïve ou intéressée, a joué un trop grand rôle dans l’établissement de sa renommée pour qu’il n’en faille pas rabattre. Bien qu’il se proclamât l’élève de la nature, il ne l’a vue, en réalité, ni très vite, ni très naïvement. La facture l’a surtout préoccupé, et ce n’est pas dans les maîtres simples qu’il l’a d’abord apprise. Quoiqu’il ait passé sa vie à médire des Italiens, c’est chez les moins candides d’entre eux, chez les Bolonais, qu’il s’est formé. Son beau Portrait du Louvre, qu’il exposa comme une « étude d’après les vénitiens, » est une étude d’après Caravage et le Guide, qu’il prenait peut-être pour des vénitiens. Les Demoiselles des bords de la Seine, de 1848, ses nudités, la Femme au perroquet, le Réveil, ont perdu aujourd’hui l’éclat et la fraîcheur dans les parties claires, qui trompèrent sur leur compte, lors de leur apparition. Le noir des ombres s’y étant exaspéré, l’on y sent surtout la dureté des formes, l’insuffisance des modelés, l’inexactitude des proportions, le manque d’air, la grossièreté des intentions. Dans les figures masculines et habillées comme les Casseurs de pierre, ces défauts sont moins blessans, et l’on peut y admirer la virtuosité robuste d’une brosse sans hésitation comme sans émotion ; mais c’est le paysage seul qui nettoie bien les yeux de ce praticien acharné. La Biche forcée sur la neige, les Braconniers. les Bords de la Loire, à défaut de ces puissantes études de verdures humides où il excelle vraiment, témoignent, dans ce cas, de la netteté énergique et même délicate de sa vision. Encore ne