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préoccupé que Bastien de la composition ingénieuse et équilibrée, de la variété intéressante des expressions, de l’agrément coloré de la peinture, il s’est rencontré, à un moment donné, avec lui dans la recherche commune de la simplicité expressive et de l’exécution juste, sobre et précise. M. Friant tient de plus près à Bastien, cela saute aux yeux dans sa collection de portraits, petits ou grands, dont l’ensemble accuse nettement une personnalité déjà fort intéressante. On trouverait aussi quelques tendances identiques chez M. Raphaël Collin, dont la réputation, un peu plus ancienne, ne peut qu’être confirmée par le charme fin et distingué de la plupart de ses peintures.

C’est du côté de la représentation des mœurs contemporaines, mœurs de campagne ou mœurs de ville, que se tourne, nous le savons, la principale activité de l’école nouvelle. Pour un certain nombre de théoriciens, il semblerait même que le naturalisme direct, ce qu’ils appellent « la modernité, » fût la condition exclusive du développement de la peinture. Il y a beaucoup d’aveuglement ou d’ignorance, selon nous, dans cette affirmation. S’il est constant qu’aucune école ne peut vivre longtemps sur des formules scolaires et ne peut se développer que par un commerce régulier avec la nature, il n’est pas moins constant que l’art n’apparaît qu’au moment où l’artiste impose, volontairement ou à son insu, son interprétation personnelle à la réalité, et qu’il n’est aucune époque productive où l’on ne constate un mouvement d’imagination dans un sens déterminé, un soulèvement de l’enthousiasme artistique dû à quelque haute aspiration vers un idéal religieux, héroïque, intellectuel ou moral. L’Exposition de 1889 prouve que la vitalité actuelle de l’école ne se produit pas en dehors des lois constatées par l’expérience, et que la prétention vaniteuse où se complaisent certains naturalistes d’échapper à la tyrannie démodée d’un idéal n’est qu’une prétention enfantine et erronée.

Il suffit d’une promenade attentive dans les galeries de peinture pour voir que, si l’idéal poursuivi, avec une conscience plus ou moins nette, par nos jeunes peintres, n’est plus ni l’idéal religieux, ni l’idéal antique, ni l’idéal romantique, ni l’idéal académique, la présence d’un idéal général n’en est pas moins visible dans les aspirations intellectuelles et matérielles de la plupart d’entre eux. La glorification de l’humanité, de l’humanité présente et passée, dans ses joies et dans ses souffrances, dans ses labeurs et dans son génie, dans ses devoirs les plus humbles comme dans ses actes les plus héroïques, n’est-ce pas l’œuvre qu’ont pressentie et préparée Géricault, Delacroix, Millet, tous les génies sains et