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soignez votre santé, j’irai vous faire ma cour ce soir ! » Du libertinage, de la galanterie sensuelle, des feux follets allumés par la vanité, le caprice, éteints bien vite par l’inconstance, voilà ce qu’on accorde communément an XVIIIe siècle : parfois, un de ces attachemens dont la durée atténue l’irrégularité, amitiés décentes, revêtues d’une sorte de mystère et d’ailleurs pleines de charme, qui, par exemple entre la marquise de Lambert et Saint-Aulaire, Mme de Rochefort et Nivernois, Mme de Sabran et Boufflers, Mme du Marchais et d’Angivilliers, corrigent les amertumes d’unions mal assorties, donnent l’illusion du bonheur conjugal, et, tolérées, respectées même par le monde, se légitiment souvent par un mariage. Et comment ne pas juger sévèrement cette époque, lorsqu’on entend ses moralistes, ses philosophes fulminer eux-mêmes sa condamnation, lorsqu’on les voit donner l’exemple des faiblesses, de l’immoralité qu’ils reprochent aux accusés ? Mlle de Lespinasse se lamentant d’avoir perdu la seule vertu qui lui restât, la vertu de la fidélité ; la marquise de Mirabeau remettant à ses amans des certificats de ses relations avec eux, cette duchesse répondant à un vieil adorateur timide : « Que ne le disiez-vous ? Vous m’auriez eue comme les autres, » ce mari qui, surprenant sa femme, observe simplement : « Quelle imprudence ! si un autre que moi fût entré ! » les mémoires du temps, l’orgie de la régence, les vices de Louis XV, tant d’autres témoignages, composent le plus imposant dossier, ont fourni la matière du terrible réquisitoire prononcé en 1789 contre l’ancien régime, répété sans cesse avec succès depuis cent ans.

Les faits sont des courtisans commodes : ils démontrent presque toujours ce qu’on veut qu’ils démontrent, se prêtent à toutes les hyperboles, se métamorphosent en pamphlets et en éloges, en satires et en apothéoses. Chacun de nous, du plus au moins, réédite à sa manière l’apologue du voyageur et de la femme rousse : très peu s’inquiètent « le comparer, d’aller au fond des choses, de tenir compte des exceptions, des argumens qui contredisent leur opinion. Sans aller jusqu’à nommer avec Michelet le XVIIIe siècle : le grand siècle, je trouverais aisément de quoi le célébrer ; on a ramassé vingt mille faits contre lui, on peut en citer tout autant qui le réhabilitent et le magnifient. Qu’on lise Tallemant des Réaux, Saint-Simon, les historiens du XVIIe siècle, ses prédicateurs ; la cour et la ville retentissent de bien nombreux scandales, seulement le vice alors est guindé, majestueux en quelque sorte et grandiose. Et les vices du XIXe siècle, plus répandus peut-être, plus démocratiques et moins élégans, nous permettent-ils de le prendre de si haut avec ceux du précédent ? Oui, sans doute, il y a à cette époque quelques milliers de personnes dont le plaisir est l’unique loi, dont les fantaisies