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pour la révolution. Révoquer cette défense, c’est faire d’une pierre deux coups : rétablir de bons rapports avec deux frères du roi, impatienter « cette insolente et vindicative » Marie-Antoinette, et l’ôter de la place de Louis XVI qu’elle voulait usurper, à l’exemple des autres filles de Marie-Thérèse qui, à Bruxelles, à Naples, à Parme, gouvernaient leurs maris. N’est-il pas absurde d’ailleurs que, renversant tous les préjugés pour instituer l’égalité, les Français viennent chez les autres choquer toutes les convenances pour soutenir une distinction rejetée parmi eux ? De son côté, la marquise épouse les sentimens de Lauzun : la lettre de Lafayette à l’assemblée lui semble pouvoir être signée Monck et soupçonnée Cromwell. Quant à la petite cour de Coblentz, dont lord Malmesbury lui a conté les intrigues, elle lui inspire ce trait aigu : « Vraiment, le Français est alternativement l’enfant ou la vieille femme de l’Europe. » Le 10 août la glace d’effroi, non certes à cause de la déchéance du roi qui la laisserait très philosophe, mais à cause de l’effet qu’il produira sur l’armée, — l’armée où Biron commande, où cet événement va accroître l’indiscipline, augmenter les embarras, les périls des généraux. O liberté ! s’écrie-t-elle, quel mal tu nous causes pour les biens que tu nous as promis ! Dix-huit mois après, au pied de l’échafaud, Mme Roland rencontrera la même pensée.

Mme de Coigny, qui se savait mieux et, autrement aimée, ne s’inquiète nullement des maîtresses de Biron[1] ; et, ce qui paraîtra plus étrange, elle lui parle d’elles, demande, donne de leurs nouvelles ; ainsi fait-elle pour Mlle Laurent, pour sa propre cousine Aimée de Coigny, duchesse de Fleury. Mlle Laurent, de la Comédie-Française, était la maîtresse en titre de Biron, qui demeura avec elle en 1793, avant d’aller en Vendée, invitant ses amis à des dîners dont elle faisait les honneurs. Il écrit un jour à Talleyrand qu’il va la mandera valenciennes, « ayant besoin d’elle pour le soigner et de Juliette pour le divertir. » Elle n’était guère jolie, jouait assez piètrement la comédie ; mais, disait-il, « si vous saviez comme elle est bête, et comme cela est commode ! On peut parler devant elle

  1. Mme de Genlis rapporte une anecdote piquante à propos de Mme de Rechteren que Lauzun-Biron courtisa, en 1787, aux eaux de Spa : « C’était une jeune Espagnole, à la fois spirituelle, ingénue et jolie, mariée à un homme qui aurait pu être ton père, mais qu’elle aimait véritablement. Comme il était fort difficile de l’approcher, le duc s’établissait derrière, au milieu des hommes qui avaient la galanterie de servir les dames. Un jour, au déjeuner, il lui fit rapidement, tout bas, une déclaration d’amour, très formelle. Mme de Rechteren, après l’avoir tranquillement écouté, lui répondit : « Monsieur le duc, j’entends fort mal le français : mais mon ami (elle désignait ainsi son mari) est bien plus savant que moi ; allez lui répéter ces jolies choses, il me les expliquera parfaitement. »