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la France est appelée à jouer et la place qu’elle peut occuper dans cette Indo-Chine dont l’évolution du Céleste-Empire va prochainement et profondément modifier les destinées.


VI

Aux derniers rayons du soleil couchant, les civilisations vieillies empruntent d’étranges reflets. Du choc des antiques traditions et des idées nouvelles l’éclair jaillit, donnant, à ce qui fut et va cesser d’être une intensité de vie et de lumière, à ce qui vient les formes indécises, les contours vagues d’une ébauche inachevée. Ainsi, dans sa lente évolution commencée il y a plus de trente années et dont la marche chaque jour s’accélère, apparaît la Chine. Non qu’elle soit menacée de disparaître ; aucune race ne saurait et ne pourrait remplacer la race prolifique des fils de Han sur ce sol, depuis tant de siècles pétri et façonné par elle, imprégné de son odeur et de ses traditions.

Mais, au travers de la brèche ouverte par les canons de l’Europe, les idées de l’Europe pénètrent et, si réfractaire que soit ce peuple à l’influence d’un génie aussi profondément différent du sien, il est trop sagace observateur et les faits parlent trop haut pour qu’il ne cherche pas à s’expliquer et à s’assimiler les procédés industriels, les conquêtes scientifiques de ces diables étrangers, parvenus intelligens, qu’il méprise en tant que parvenus et dont il admire le savoir. Arrachés à leur séculaire isolement, les Chinois émigrent, et leurs masses profondes de laborieux prolétaires débordent sur l’Océanie et sur l’Amérique. Les représentans des classes élevées viennent, eux aussi, étudier les institutions politiques, les mœurs, les lois, les coutumes et les sciences de l’Europe. Une lueur s’est faite dans leur esprit ; une évolution dont on ne saurait encore mesurer les conséquences est en voie de s’accomplir dans ce vaste empire. Sorti de sa torpeur, il vient apporter sa quote-part à l’inventaire des richesses de l’univers.

Longtemps inconnus des masses, appréciés d’un petit nombre de connaisseurs qui s’en procuraient avec peine quelques rares échantillons, aujourd’hui leurs objets d’art, leurs bibelots ont envahi l’Europe. Ils affluent, et, dans toutes les villes on les trouve, à tout prix, de toutes qualités. Pas de demeure si modeste qui n’en possède, où l’on ne rencontre les plateaux de laque, les éventails, les dessins bizarres, les bambous travaillés, les bronzes, les potiches du Céleste-Empire. Par cargaisons entières il déverse sur le monde les innombrables productions de sa main-d’œuvre