Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/623

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Thaïs. Ici, tout est plus sobre, moins éclatant. C’est encore l’Asie, mais une Asie voisine de l’Europe, une Asie islamite, belliqueuse et brave. Aussi nous montre-t-elle ses armes damasquinées, ses cimeterres recourbés, ses yatagans, cottes de mailles, casques, qui, involontairement, nous reporteraient à l’époque des Croisades, n’étaient ces longs fusils à pierre et à bassinet. Sur les étagères en bois sculpté, les belles aiguières de cuivre profilent leurs formes élancées, et sur les murs les riches tapis déploient leurs dessins harmonieux.

De cette revue rapide des merveilles que l’Asie déroule à nos regards, de cette fête des yeux et de l’imagination, de cette évocation vivante et brillante d’un monde lointain si différent du nôtre, il nous reste un regret et un espoir. Ce regret, c’est l’éparpillement de toutes ces belles choses, disséminées ici et là, séparées, sans lien entre elles, sans lien avec ce qui les avoisine ; c’est aussi l’espoir de voir un jour réunis dans un palais d’Asie ces produits de l’art asiatique, ces éblouissantes féeries. Quel magicien de génie élèvera, dans une de nos futures Expositions, un de ces temples de l’Inde, étrange comme le gynécée des princes de Marvar, fantastique et grandiose comme Darbar-Sahil, le temple d’or du Pendjab, ou comme Jama Mesjid, la mosquée d’Aureng-Zeb ? Sous ces voûtes profondes, sous le jour tamisé, tombant de haut, quel charme de rassasier ses yeux des richesses de l’Inde et de la Chine, du Japon et des îles de la Sonde, de la Perse, de Siam et de la Cochinchine, de remonter sans interruption le cours des siècles, de voir revivre dans son cadre la mystérieuse et contemplative Asie, berceau de l’humanité, dont le nom éveille le souvenir d’un monde féerique entrevu, l’écho mélancolique d’un grand passé qui luit !


C. DE VARIGNY.