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Dans toute conception cosmogonique, il faut nécessairement en venir à l’idée d’un mouvement initial, d’une impulsion première de tout le système, et, en remontant encore, au-delà des mondes particuliers, à un état marquant le point de départ de toutes choses ; après quoi, il ne reste plus à la pensée humaine qu’à invoquer l’intervention d’un Dieu créateur. C’est là l’hypothèse dont Laplace, assure-t-on, aurait affirmé pouvoir se passer, mais peut-être uniquement parce que, bornant ses vues à l’explication de l’origine de la nébuleuse solaire, il avait ainsi évité de se trouver en face du problème que pose inévitablement la considération du commencement de tout, nous voulons dire de la substance indéfinimens et également distribuée et diffuse. C’est là un stade auquel l’esprit humain aboutit toujours comme nécessairement antérieur à tous les autres, et, selon une belle pensée de M. Faye, la voie lactée représenterait un délaissement, un résidu vague des matériaux dont l’univers aurait été primitivement constitué et qui seraient restés en dehors des impulsions très diverses auxquelles les mondes auraient dû leur naissance. On sait que Laplace fait venir le système solaire d’une condensation centrale de la nébuleuse primitive, dont l’atmosphère prodigieusement étendue aurait ensuite donné naissance aux planètes, au moyen de délaissemens ou zones abandonnées successivement, qui auraient pris d’abord la forme d’anneaux avant de se convertir en autant de sphères fluides et lumineuses à l’origine, puis encroûtées et solidifiées. Il se trouve pourtant que, dans l’hypothèse de Laplace, le soleil est déjà en voie de formation et de condensation, bien avant que le globe terrestre, né après lui, cessant d’être fluide, ait pu atteindre un degré de refroidissement de sa masse suffisant pour maintenir l’eau à l’état liquide à sa surface et permettre à la vie de s’y manifester et de s’y maintenir. On connaît les conditions indispensables à ce développement de la vie, qui ne saurait avoir lieu tant que l’eau est assez chaude pour coaguler l’albumine, cet élément essentiel à tous les êtres organisés. D’autre part, comme il n’est pas impossible de calculer la quantité de chaleur acquise par le soleil en vertu de la condensation graduelle des élémens compris dans sa sphère d’attraction et renfermés dans son orbite actuelle ; comme on sait également la masse de chaleur annuellement dépensée par ce même astre, on arrive à cette conclusion que « le soleil n’a pu rayonner la chaleur et la lumière, avec l’intensité actuelle, pendant plus de quinze millions d’années[1]. » Ce chiffre

  1. Dix-huit millions d’années, en admettant les calculs de sir William Thomson. (Voyez les Hypothèses cosmogoniques, Examen des théories scientifiques modernes sur l’origine des mondes, par L. Wolf, de l’Institut, Paris, 1885, p. 28.) — M. Wolf cite des calculs de géologues portant à 500 millions d’années le temps nécessaire à la formation des terrains stratifiés de l’écorce terrestre ; mais cette supposition lui paraît avec raison entachée d’exagération.