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L’excellent homme se chagrinait de l’attitude prise par Danry, lui montrait le danger auquel il s’exposait, le conjurait de dire la vérité. Mais, dans un nouvel interrogatoire, le prisonnier maintenait ses affirmations. Puis tout à coup il changea de tactique et refusa de répondre aux questions qu’on lui posait. « Danry, lui disait le lieutenant de police pour lui donner courage, ici nous rendons justice à tout le monde. » Mais les prières n’eurent pas un meilleur résultat que les menaces ; Danry gardait un silence obstiné ; d’Argenson écrivait à Berryer : « Cette affaire est trop importante à éclaircir pour ne pas suivre toutes les indications qui peuvent faire parvenir à cet objet. »

Danry, par son silence, avait trouvé le moyen de donner un air de complot ténébreux à une tentative d’escroquerie sans grande conséquence.

Il ne se décida que le 15 juin à faire un récit à peu près exact, dont le procès-verbal fut immédiatement envoyé au roi, qui le relut plusieurs fois et « pocheta » toute la journée. Ce détail montre l’importance que l’affaire avait prise. Les soupçons ne furent pas dissipés par la déclaration du 15 juin. Danry avait altéré la vérité dans les deux premiers interrogatoires, on craignait qu’il ne l’eût altérée également dans le troisième. C’est ainsi que son silence et ses dépositions contradictoires le perdirent. Six mois plus tard, le 7 octobre 1749, le docteur Quesnay, qui avait témoigné beaucoup d’intérêt au jeune chirurgien, fut envoyé auprès de lui à Vincennes afin d’en apprendre le nom de celui qui l’avait poussé au crime. Au retour, le docteur écrit à Berryer : « Mon voyage n’a été d’aucune utilité ; je n’ai vu qu’un hébété, qui cependant a toujours persisté à me parler conformément à sa déclaration. » Et deux années se seront écoulées que le lieutenant de police écrira encore à Quesnay : « 25 février 1751. — vous feriez grand plaisir à Danry si vous vouliez lui rendre une visite, et par cette complaisance vous pourriez peut-être l’engager à vous découvrir entièrement son intérieur, et à vous faire un aveu sincère de ce qu’il m’a voulu cacher jusqu’à présent. »

Quesnay se rendit immédiatement à la Bastille, promit au prisonnier la liberté. Danry se désespère, jure que « toutes ses réponses au lieutenant de police sont conformes à la vérité. » Quand le docteur a pris congé de lui, il écrit au ministre : « M. Quesnay, qui m’est venu voir plusieurs fois dans ma misère, m’a dit que votre Grandeur croyait qu’il y avait quelqu’un de complice avec moi quand j’ai commis mon péché, et que je ne voulais pas le dire, et par cette raison que Monseigneur ne me voulait point donner la liberté que je ne l’eusse dit. A cela, Monseigneur, je souhaiterais du