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liberté de vous en présenter cette paire, comme une marque de mon respect et de mon amitié. Je vous supplie en grâce d’avoir la bonté de les recevoir, avec autant de plaisir comme j’en ai à vous les offrir. J’ay l’honneur d’être avec un très profond respect, madame, votre très humble et très obéissant serviteur.

« Danry, à la Bastille depuis onze ans. »

Pourquoi Danry n’a-t-il pas toujours usé d’une manière aussi charmante de la permission qu’on lui donnait d’écrire au ministre, au lieutenant de police, à la marquise de Pompadour, au docteur Quesnay et à sa mère ? Il écrivait sans cesse et nous avons de ses lettres par centaines. Elles sont bien différentes les unes des autres. Celles-ci sont suppliantes et plaintives. : « Par les larmes et le sang-froid corps dépérit tous les jours, je n’en puis plus. » Il écrit à la marquise de Pompadour : « Madame, je ne vous ai jamais souhaité que du bien, soyez donc sensible à la voix des larmes, de mon innocence et d’une pauvre mère désolée de soixante-six ans. Madame, vous êtes instruite de mon martyre, je vous supplie au nom de Dieu de m’accorder ma chère liberté, je n’en puis plus, je me meurs, mon sang s’est tout brûlé à force de gémir, vingt fois dans la nuit je suis obligé d’humecter ma bouche et mes narines pour pouvoir respirer. » On connaît la célèbre lettre qui commence par ces mots : « voilà cent mille heures que je souffre ! « Il écrit à Quesnay : « Je me présente devant vous avec un charbon de feu ardent sur ma tête qui vous marque ma pressante nécessité. » Les images dont il se sert ne sont pas toujours aussi heureuses : « Écoutez, dit-il à Berner, la voix des entrailles équitables dont vous êtes revêtu. »

Dans d’autres lettres le prisonnier change de ton, aux plaintes succèdent les cris de rage et de colère, « il trempe sa plume dans le fiel dont son âme est abreuvée. « Il ne supplie plus, il menace. On ne saurait louer le style de ces épîtres, il est incorrect et vulgaire, mais, par momens, vigoureux et coloré d’images vives. Il dit au lieutenant de police : « Quand il faut punir dans cette maudite prison, tout est en l’air, le tonnerre ne marche pas aussi vite que les punitions ; il s’agit de soulager un homme qui n’est pas heureux, je ne vois que des écrevisses ; » et il lui adresse ces vers de Voltaire :


Périssent les cœurs durs et nés pour les forfaits
Que les malheurs d’autrui n’attendrissent jamais.


Il prédit aux ministres, aux magistrats, à la marquise de Pompadour des châtimens terribles. Il écrit à cette dernière : « Vous