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donner des fusils aux officiers et aux sergens. — Or le roi s’est servi de mon projet pendant cinq années de suite et s’en servira encore perpétuellement toutes les fois que nous serons on guerre. » Sar-tines se rendit à Versailles, ce merveilleux projet en poche. Il le montra aux ministres, parla en faveur de son protégé, qui, du fond des cachots, se rendait utile à son pays. Mais, au retour, il écrivit au major de la Bastille, pour Danry, une note où nous lisons : « On n’a point fait usage, comme il le croit, de son projet militaire. »

Danry avait demandé plusieurs fois qu’on l’envoyât aux colonies. fin 1763, le gouvernement s’occupait beaucoup de la colonisation de la Désirade. Nous trouvons une lettre du 23 juin 1763 par laquelle Sartines propose d’envoyer Danry à la Désirade « en le recommandant à l’officier commandant. » Ces tentatives demeuraient infructueuses.

Comme tous les hommes de son espèce, Danry chercha toute sa vie à réussir par les femmes. Il savait fort bien tout ce qu’il y a de tendresse et de dévoûment dans ces têtes légères et qu’en elles le sentiment couvre toujours la raison : a Je cherchais surtout des femmes et je désirais les trouver jeunes, leur aine aimante et douce est plus susceptible de pitié : l’infortune les émeut, les intéresse plus vivement, leur sensibilité s’altère moins vite et les rend capables de plus d’efforts. La nature nous inspire ces vérités, je les sentais alors. »

Tandis qu’il était à se promener sur les tours de la Bastille, respirant l’air frais du matin, il tentait de se mettre en relation par signes et signaux avec les voisins du château. « Je remarquai deux jeunes personnes seules dans une chambre où elles travaillaient : leur physionomie me parut douce et jolie, je ne me trompais pas. L’une d’elles ayant jeté les yeux de mon côté, je lui fis avec ma main un salut que je cherchai à rendre honnête et respectueux ; elle avertit d’abord sa sœur qui me fixa sur-le-champ. Je les saluai alors toutes les deux de la même manière, et elles me répondirent toutes les deux avec un air d’intérêt et de bonté. Dès ce moment, nous établîmes entre nous une sorte de correspondance. » C’étaient deux petites blanchisseuses, nommées Lebrun, filles d’un perruquier. Et le rusé compère, afin de mieux stimuler les petites folles à le servir avec ardeur, frappait à la porte de leur jeune cœur qui ne demandait qu’à s’ouvrir. Il leur parlait de jeunesse, de malheur et d’amour, et, ce qui ne pouvait rien gâter, de sa fortune, dont il leur offrait la moitié. Aussi les jeunes filles n’épargnaient-elles pour lui ni leur temps, ni leurs peines, ni le peu d’argent qu’elles pouvaient avoir.