Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/669

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et à Sartines pour lui faire des propositions de paix : en retour de 10,000 écus, avancés sur les 150,000 livres qui lui étaient dues, il oublierait le passé : « J’étais, dit-il, résolu de jouer le tout pour le tout. » En réponse, il reçut une lettre qui lui désignait une maison où il trouverait 1,200 livres obtenues pour lui par le docteur Quesnay. Il se rendit à l’adresse indiquée, où il fut saisi.

Il fut aussitôt ramené à Vincennes. Danry avoue qu’il allait être mis en liberté au moment où il s’évada : c’était une nouvelle détention à recommencer. Nous ne raconterons pas le détail de l’existence qu’il va mener. Matériellement, il continue d’être bien traité, mais son esprit tourne à la folie, ses colères deviennent de plus en plus violentes, en arrivent au paroxysme de la fureur. Voici quelques extraits des lettres et mémoires envoyés à Sartines : « Par tous les diables, cela est un peu fort de café ! Il est vrai, monsieur, qu’à ne vous vanter que médiocrement, on pourrait défier les plus scélérats diables de tout l’enfer de vous donner des leçons de cruauté. « Il écrit une autre fois : « Notre crime à nous tous est d’être instruits de vos friponneries : il faut que nous périssions ! quelle joie pour vous si l’on venait vous apprendre que nous nous sommes étranglés dans nos cachots ! » Danry rappelle au lieutenant de police les supplices d’Enguerrand de Marigny, et il ajoute : « Sachez qu’on en a rompu plus de mille au milieu de la place de grève de Paris qui n’avaient pas commis la centième partie de vos crimes. » — « Il ne se trouverait pas une seule personne d’étonnée en te voyant écorcher tout vif, tanner ta peau et jeter ton corps à la voirie pour être dévoré par les chiens. » — « Mais monsieur se rit de tout, monsieur ne craint ni Dieu, ni le roi, ni le diable, monsieur avale les crimes comme du petit-lait ! »

Latude écrivait dans sa prison des mémoires qu’il remplissait de calomnies sur les ministres et la cour. Ces mémoires étaient composés sur le ton le plus dramatique, avec un accent de sincérité inimitable ; on savait que le prisonnier trouvait mille moyens de les faire passer à l’extérieur, et on craignait qu’ils ne se répandissent dans la foule où les esprits, — nous sommes en 1775, — commençaient d’être excités. Latude venait d’être descendu au cachot à la suite d’une nouvelle algarade à ses geôliers. « Le 19 de ce mois de mars 1775, le lieutenant de roi entra, accompagné du major et de trois porte-clés, il me dit : — J’ay obtenu qu’on vous fit sortir du cachot, mais à la condition que vous me remettiez vos papiers.

— Que je vous remette mes papiers ! Sachez, monsieur, que j’aimerais mille fois mieux crever dans ce cachot que de faire une pareille lâcheté !