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En passant du donjon de Vincennes dans la maison de Chareton, Danry ne jugea pas inutile de s’élever encore en dignité. Aussi le voyons-nous s’intituler dorénavant « ingénieur, géographe, pensionnaire du roi à Charenton. » Sa situation s’améliora sensiblement. Il parle des bontés qu’avaient pour lui les pères de la Charité. Il avait des compagnons dont la société lui plaisait. Des salles où l’on jouait au billard, au tric-trac, aux cartes étaient mises à la disposition des pensionnaires. Il prenait ses repas et se promenait en compagnie. Il revit Allègre, son ancien confrère de captivité, qu’il retrouva dans les catacombes parmi les forcenés ; on l’avait fait sortir en 1763 de la Bastille où il cassait et brisait tout. À présent Allégro se croyait Dieu. Quant à Danry, il était si bien entré dans son rôle de gentilhomme, qu’à voir son air de noblesse et d’aisance, à entendre sa conversation pleine de souvenir de famille et de jeunesse, nul ne pouvait douter qu’il n’eût été, en effet, ce brillant officier du génie, tombé, dans la fleur de l’âge victime des intrigues de la favorite. Il fréquentait la partie aristocratique de la société de Charenton, et se lia intimement avec un de ses compagnons, le chevalier de Moyria, fils d’un lieutenant-colonel, chevalier de Saint-Louis.

Cependant le parlement, qui envoyait chaque année une commission faire l’inspection de la maison de Charenton, commission devant laquelle Danry comparut à deux reprises différentes, ne juge pas qu’il dût être mis en liberté. Mais, un beau jour du mois de septembre 1776, le père prieur, qui s’intéressait tout particulièrement au sort de son pensionnaire, le rencontrant dans le jardin, lui dit brusquement : « Nous attendons la visite de M. le lieutenant de police, préparez un discours court et bon. » Le lieutenant de police Lenoir vit Danry, l’écouta attentivement, et comme le père prieur ne donnait que de bons témoignages, le magistrat promit la liberté. « Alors le père Prudence, directeur, qui était derrière moi, me tira par le bras pour me faire sortir, par crainte que par quelque parole indiscrète, je ne gâtasse le bien qui avait été résolu. » Le trait est charmant et tout à l’honneur du père Prudence.

Mais réflexion faite, il parut dangereux de rejeter ainsi, du jour au lendemain, dans la société, un homme qui ne saurait comment y vivre, n’ayant parens ni fortune, n’ayant plus les moyens de gagner sa vie, et dont on n’avait d’ailleurs que trop de raisons de se défier. Lenoir fit demander si le prisonnier trouverait, une fois en liberté, de quoi assurer son existence, s’il avait quelque bien, s’il pouvait donner les noms de quelques personnes prêtes à répondre de lui.

Comment, s’il avait quelque bien ! comment, s’il trouverait de personnes prêtes à répondre de lui ! Lui, Masers de Latude ! Mais