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toute sa famille, quand la marquise de Pompadour le fit embastiller, occupait une situation brillante ! Mais sa mère, dont il avait eu la douleur d’apprendre la mort, avait laissé une maison et des biens-fonds considérables ! Latude prit la plume et, sans hésiter, écrivit à M. Caillet, notaire royal à Montagnac : « Mon cher ami, je parierais dix contre un que tu me crois mort, vois comme tu t’es trompé ! .. Il ne dépend que de toi qu’avant ce carnaval passé nous mangions un bon levraut ensemble. » Et il parle à son ami le notaire de la fortune laissée par sa mère, de toute sa famille qui ne peut manquer de s’intéresser à lui. Latude ne fut peut-être pas très étonné de ne pas recevoir de réponse à cette épître, mais elle devait passer sous les yeux du lieutenant de police.

Le nouvel ami de Latude, le chevalier de Moyria, était en liberté depuis quelque temps déjà. Le prisonnier s’empressa de lui envoyer la copie de sa lettre au notaire. « La réponse se faisait attendre, Me Caillet était mort sans doute. Que devenir ? ces vingt-huit années de captivité avaient compromis sa fortune, lui avaient fait perdre ses amis ; comment retrouver les débris de sa famille dispersée ? Heureusement qu’il lui restait une amitié, une amitié jeune encore, mais déjà forte, en laquelle il mettait toute sa confiance. « Chevalier, il ne dépendrait que de vous de me délivrer, en engageant votre bonne maman à écrire à M. Lenoir. » Le chevalier de Moyria répondit aimablement, Danry écrivit une nouvelle lettre plus pressante et fit si bien que, non-seulement la mère du chevalier, mais encore un vieil ami de la famille de Moyria, Mercier de Saint-Vigor, chef d’escadre, contrôleur général de la maison de la reine, intervinrent, firent des démarches à Versailles. « Le 5 du mois de juin 1777, le roy Louis XVI me rendit ma liberté, j’ay l’ordre de sa main dans ma poche ! »


V

En sortant de Charenton, Danry avait signé l’engagement de partir immédiatement pour le Languedoc, engagement qu’il n’eut garde de remplir. Paris était la seule ville de France où un homme comme lui pouvait se pousser. Il avait alors cinquante-deux ans, mais se trouvait encore jeune, plein d’entrain et de force ; ses cheveux, aussi abondans que dans la jeunesse, n’avaient pas blanchi. Bientôt il eut trouvé le moyen d’emprunter de l’argent, et le voilà en campagne s’efforçant d’approcher les ministres, gagnant la protection du prince de Beauvau, distribuant des mémoires où il réclame la récompense de grands services rendus, où il se répand