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pour sauver la vie à vingt-deux citoyens, juge, grand empereur, si mon cœur peut éviter de s’intéresser pour toi qui es le sauveur de ma chère patrie. »


Nous avons des détails sur la fin de la vie de Latude par les mémoires de son ami le chevalier de Pougens et par les mémoires de la duchesse d’Abrantès. Le chevalier nous dit qu’à l’âge de soixante-quinze ans, il était encore en bonne santé, « vif, enjoué, paraissant jouir avec transport des charmes de l’existence. Chaque jour, il faisait de longues courses dans Paris sans éprouver la moindre fatigue. On s’étonnait de ne trouver en lui aucun vestige des cruelles souffrances qu’il avait éprouvées dans les cachots pendant trente-cinq années de détention. » L’empire ne lui avait pas fait perdre de sa faveur. Junot lui faisait une pension sur des fonds dont il disposait. Un jour, il le présenta à sa femme, ainsi que Mme Legros, que Latude ne quittait plus.

« Lorsqu’il arriva, nous dit la duchesse d’Abrantès, je fus au-devant de lui avec un respect et un attendrissement vraiment édifiant. Je le pris par la main, je le conduisis à un fauteuil, je lui mis un coussin sous les pieds ; enfin, il aurait été mon grand-père que je ne l’aurais pas mieux traité. A table, je le mis à ma droite. » Mais, ajoute la duchesse, « mon enchantement dura peu. Il ne parlait que de ses aventures avec une loquacité effrayante. »

Le 20 juillet 1804, Latude rédigea encore une circulaire adressée aux souverains de l’Europe, au roi de Prusse, au roi de Suède, au roi de Danemark, à l’archiduc Charles frère de l’empereur, ainsi qu’au président des États-Unis. A chacun, il envoyait un exemplaire de ses Mémoires accompagné du célèbre projet qui avait fait remplacer par des fusils les hallebardes dont les sergens étaient armés. Il expliquait à chacun de ces souverains que, comme la nation qu’il gouvernait profitait aujourd’hui de ce projet enfant de son génie, il était juste qu’il en reçût la récompense.

Jean Henri, dit Danry, dit Danger, dit Jedor, dit Masers d’Aubrespy, dit de Masers de La Tude, mourut à Paris le 11 nivôse an XIII (1er janvier 1805) à l’âge de quatre-vingts ans.


FRANTZ FUNCK-BRENTANO.