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peuples par la science et le travail aura raison de l’instinct militaire. Laissons-lui caresser la chimère d’un âge d’or qui deviendrait bien vite, s’il pouvait se réaliser, un âge de boue. Toute l’histoire nous enseigne que ceci est créé par cela, qu’il faut du sang pour hâter et cimenter la fusion des peuples. Les sciences de la nature ont ratifié de nos jours la loi mystérieuse révélée à Joseph de Maistre par l’intuition de son génie et par la méditation des dogmes primordiaux ; il voyait le monde se rachetant de ses déchéances héréditaires par le sacrifice ; les sciences nous le montrent se perfectionnant par la lutte et la sélection violente : c’est des deux parts la constatation du même décret, rédigé en termes différens. Constatation désagréable, à coup sûr ; mais les lois du monde ne sont pas faites pour notre agrément, elles sont faites pour notre perfectionnement. — Entrons donc dans cet inévitable, ce nécessaire palais de la guerre ; nous aurons occasion d’y observer comment le plus tenace de nos instincts, sans jamais rien perdre de sa vigueur, se transforme et se plie aux exigences diverses des momens historiques.

Là-haut, dans les salles rétrospectives du second étage, c’est encore la guerre pimpante et empanachée, celle qui fournissait des couplets d’opéra-comique, des sujets de tableau et de tapisserie, qui tournait les têtes avant de les faire casser. Son arsenal emprunte des moyens de séduction à tous les arts, elle fait une large part à l’inspiration et à l’habileté de l’individu, elle s’incarne dans les figures héroïques. Les collections d’uniformes et d’armes anciennes n’offrent qu’un intérêt secondaire ; on les a vues dans tous l’es musées, il y a plus et mieux en face, à l’Hôtel des Invalides. Mais la galerie de portraits est longuement suggestive ; elle nous montre l’âme de la profession changeant avec les époques. Chez les capitaines de l’ancien régime, l’exercice du commandement militaire n’imprime point un caractère spécial aux physionomies, pas plus qu’il ne modifie le costume habituel ; pour toute une classe, la guerre n’est pas encore une fonction distincte de la vie sociale, elle est l’état naturel, la seule occupation sérieuse et le plus vif plaisir ; sauf la cuirasse, dont le peintre les affuble parfois comme d’un attribut mythologique, rien ne distingue un de ces maréchaux de l’homme de cour qui le remplacera demain. Il faut arriver aux généraux de la révolution et de l’empire pour trouver un type professionnel caractérisé. A peu d’exceptions près, ces héros ne se piquent pas de simplicité ; comme ils se complaisent dans leurs dignités de fraîche date, comme ils s’admirent dans leurs uniformes chamarrés ! Dès qu’ils ont passé le seuil de l’atelier, chez David, Gérard ou Girodet, ils sont en scène, ils prennent des poses théâtrales ; tel de ces portraits, — Mortier, Bessières, Murat, —