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chez nous l’apôtre de cette réforme ; le nom de l’ouvrier dit assez la valeur de l’œuvre. — Mais là n’est pas encore l’idée neuve, aux conséquences incalculables : les fondations particulières ne seront jamais que des gouttes d’eau dans l’Océan. L’idée, elle a jailli du cerveau, — non du cœur, — de quelques administrateurs des caisses d’épargne, à Strasbourg, à Lyon, à Marseille ; ils se sont avisés de prendre dans leurs caisses des sommes variant entre 150,000 et 500,000 fr. pour bâtir les premiers groupes. L’opération était parfaitement légale, conforme aux statuts, puisqu’il s’agit d’un placement sur première hypothèque, à 4 pour 100. Supposez maintenant qu’on répète et qu’on généralise cet emploi de fonds, d’abord avec l’argent des caisses d’épargne, ensuite avec celui qui dort dans les autres dépôts publics, enfin avec les réserves inépuisables du grand bas de laine. Le placement est du genre qu’affectionne l’épargne nationale, plus rémunérateur que les rentes sur l’état ou les actions des chemins de fer, et de toute sécurité. Le locataire ouvrier acquitte son loyer par mois ou par semaine, avec une exactitude constante ; ici mes affirmations ne sont pas fondées sur des notices d’Exposition, mais sur une enquête faite à Lyon et sur une expérience suivie à Paris. Ainsi l’argent de tous peut servir au bien de tous, en y trouvant son juste profit dans la mesure accoutumée et même au-delà ; il suffirait de quelques promoteurs dévoués, comme durent ceux de la Caisse d’épargne, qui fonderaient dans les mêmes conditions un établissement analogue, la banque populaire des logemens ouvriers. L’idée a le rare mérite de ne pas renfermer une parcelle d’utopie ; elle ne saurait effrayer l’économiste le plus timoré, elle ne viole aucune des lois qu’il révère, elle ne demande rien à l’état ; une première expérience l’a sanctionnée. Aucune autre ne pourrait faire davantage pour la reconstitution de la famille, pour le bien-être et la moralité du travailleur.

Quand on lui aura assuré un foyer salubre et propice à l’éducation d’une famille, il faudra bien s’occuper de l’autre réforme urgente, de maintenir l’enfant le plus tard possible à ce foyer, et la femme toujours. L’enfant et la femme à l’usine, voilà ce qui nous fera taxer de barbarie incompréhensible par un prochain avenir. Nous ne voyons pas encore le moyen d’effacer cette tare de notre civilisation. Je persiste à croire que ce moyen est caché quelque part dans la galerie des machines, dans cette force nouvelle qui nous y attirait, qui promet la division indéfinie du travail mécanique et son transport à domicile. Si la machine fait cela, elle paiera à la femme en un seul bienfait nous les maux qu’elle lui a causés ; et la force électrique, la force mystérieuse qui accomplira cette réparation, sera désormais la force sainte.