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en dit assez pour témoigner ses inquiétudes, son mécontentement de tout ce qu’il a vu, de tout ce qu’il a subi depuis quelques années. Tous les tacticiens du monde peuvent interroger, décomposer, torturer ce scrutin du 22 septembre : on peut dire que, réduites à leur expression la plus simple, les élections dernières, en mettant hors de cause la république, sont un avertissement décisif de plus pour les républicains qui, depuis dix ans, depuis cinq ans surtout, ont gouverné la France et l’ont mal gouvernée. C’est le double caractère, c’est la signification intime et profonde de ce vote, de cette consultation nationale qui vient de se produire. Eh ! sans doute, à ne prendre que le résultat matériel et apparent, les républicains ont de » avantages marqués ; ils retrouvent leur majorité, ils restent maîtres du terrain. Ils seront, tout bien compté, 320 ou 330 dans la chambre nouvelle ; les conservateurs, à ce qu’il semble, approcheront du chiffre de 200, comme dans la dernière législature ; ils gardent leurs positions : ce qu’ils ont perdu dans quelques arrondissemens, ils le regagnent dans d’autres. Une trentaine de boulangistes figureront aussi au Palais-Bourbon. C’est là le fait, c’est la proportion Sommaire et générale des partis. A première vue il en résulterait que tout resterait à peu près au même point, que la majorité d’aujourd’hui serait la majorité d’hier, et que la chambre nouvelle ne serait guère que la reproduction de l’ancienne. Ce n’est qu’une apparence. En réalité, ce n’est ni la même majorité, ni la même chambre, ni la même situation. Tout est changé, et par l’entrée d’élémens nouveaux dans l’assemblée qui vient d’être élue, et par l’esprit qui s’est révélé dans cette lutte dont le scrutin du 22 septembre est le dénoûment.

Cette victoire, que les républicains célèbrent un peu bruyamment aujourd’hui, et qu’ils ont sans doute le droit de revendiquer jusqu’à un certain point, elle n’a pas été obtenue sans peine et elle n’est pas sans mélange ; elle n’est point surtout sans offrir quelques traits caractéristiques. Qu’on remarque bien d’abord tout ce qu’il a fallu pour assurer ce succès. Le gouvernement lui-même a cru nécessaire de se jeter à outrance dans la mêlée, de déployer toute la puissance de l’action officielle, de mobiliser, pour ainsi dire, sous les ordres et sous la surveillance des préfets, l’armée des fonctionnaires : percepteurs, instituteurs, buralistes, employés de toute sorte, pour les envoyer au combat. Ils ont été tous mandés, catéchisés et expédiés avec un avertissement salutaire accompagné de menaces s’ils montraient de la tiédeur pour le candidat républicain. Le moindre inconvénient de ces procédés de persuasion remis en honneur par M. le ministre de l’intérieur et tout simplement renouvelé de l’empire, est de diminuer la valeur morale d’un succès de scrutin. Et voilà le malheur ! même avec ces moyens perfectionnés, on ne réussit pas toujours, on ne change pas à volonté le courant de l’opinion ; on ne refait pas la popularité