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clairvoyans qu’à faire aujourd’hui ce qu’ils n’ont pas fait au lendemain de 1885, à désintéresser les instincts conservateurs du pays, à chercher un appui dans les forces conservatrices, — et c’est ici que ces républicains modérés qui ont été récemment élus peuvent prendre une initiative salutaire, un rôle aussi utile qu’efficace. Encore faut-il, dira-t-on, que les conservateurs se prêtent à un rapprochement, aux transactions nécessaires. C’est bien évident. Mon Dieu ! les conservateurs aussi bien que les républicains peuvent faire leur profit des élections dernières. Ils ont eu depuis quelque temps à subir d’étranges conseils : ils se sont laissé entraîner, les uns par fougue de tempérament et par impatience d’action ou par de faux calculs, d’autres par une discipline mal entendue, dans d’étranges alliances : ils n’y ont rien gagné, ils n’y pouvaient rien gagner ; ils ont risqué tout au plus de compromettre la dignité de leur drapeau, et, en croyant travailler pour leur cause, de travailler au succès d’une malfaisante aventure. Le moment est venu pour eux de redevenir eux-mêmes, de rentrer dans leur rôle, d’être simplement des conservateurs défendant la paix morale, l’équité dans l’administration, les garanties libérales, l’ordre financier, et sur ce terrain il n’est point douteux qu’entre les modérés de tous les partis il n’y ait une alliance possible. Conservateurs et républicains y sont intéressés.

Eh quoi ! s’écrieront les violens de tous les camps, l’union libérale, l’union des modérés, l’éternelle alliance du centre gauche et du centre droit, c’est toujours la même chanson. Ils sont plaisans, ces railleurs superbes qui ont si bien réussi dans leurs campagnes, qui sont si heureux avec leurs tactiques, que les uns ne peuvent faire vivre la République sans la mettre perpétuellement en péril, et que les autres ne peuvent la détruire. Ils ne voient pas que, si on revient toujours là, il faut bien que ce soit dans la nature des choses. Ce qu’il y a de certain, c’est que le pays a fait ce qu’il devait, ce qu’il pouvait, en mettant dans son vote du 22 septembre un vœu évident de modération. Le reste est l’affaire des hommes, à commencer par le M. le Président de République, qui ont dans les mains la paix, la sécurité et les libertés de la France.

La paix de l’Europe est certes un assez grand bien pour qu’on n’hésite pas à lui faire tous les sacrifices possibles. Elle tient aussi, il faut l’avouer, à bien des détails, à bien des particularités invisibles, à bien des accidens imprévus qui en font la chose la plus fragile, la plus incertaine et la plus précaire. Il y a sans doute quelques grandes questions qui sont toujours faciles à saisir, qui dominent toutes les autres et ont le premier rôle ; il y a en même temps les questions qu’on pourrait appeler secondaires, tout au moins épisodiques, qui contribuent autant que les autres à épaissir ou à prolonger l’obscurité des affaires du monde. Assurément il n’est personne qui ne sente aujourd’hui que les Balkans, dans leur position lointaine et excentrique, sont une des parties faibles de l’Europe, que là peut-être couve l’étincelle qui