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allumera un jour ou l’autre les grands conflits. Qui pourrait cependant voir clair dans tous ces troubles, ces agitations, ces rivalités, ces intrigues dont se composent les affaires balkaniques ? On suppose tout, on s’attend toujours à du nouveau, à de l’imprévu du côté de l’Orient parce qu’on croit sans doute que rien n’est impossible. Un moment, il n’y a que quelques jours, on n’a parlé de rien moins que d’inévitables complications, d’armemens bulgares et d’armemens serbes, de coups de théâtre préparés par le prince Ferdinand à Sofia et de mouvemens mystérieux à Belgrade. On a même attribué à la Porte l’intention d’en appeler à l’autorité, à l’intervention diplomatique de l’Europe pour en finir avec une situation irrégulière et de prendre de son côté des précautions militaires pour garantir la Macédoine contre toute incursion. La Porte n’est probablement pas si pressée de faire appel aux interventions de l’Europe, parce qu’elle sait bien qu’elle pourrait encore une fois payer les frais d’une transaction nouvelle, et ces petits états des Balkans ont peut-être assez de leurs affaires, de leurs aventures intérieures.

Comment la Serbie notamment se tirera-t-elle de cet imbroglio semi-politique, semi-conjugal qui se déroule autour d’elle, qui pourrait bien finir par quelque drame, et, en attendant, ressemble étrangement à une comédie ? Depuis quelque temps, en effet, depuis que le roi Milan avait divorcé, puis abdiqué la couronne en faveur de son jeune fils, c’était une question de savoir si la reine Nathalie reviendrait à Belgrade, dans quelles conditions elle pourrait revenir et où elle irait prendre sa résidence, si, en un mot, elle serait traitée en souveraine. Toutes sortes de négociations, à ce qu’il semble, auraient été engagées et poursuivies mystérieusement entre l’ancien roi, l’ancienne reine et la régence, fort embarrassée de savoir à qui complaire. Le roi Milan aurait, dit-on, fait ses conditions et fulminé des protestations, des ultimatums, en menaçant de faire quelque éclat, de revenir à Belgrade et peut-être d’enlever le jeune roi ; l’ancienne reine paraît avoir refusé de souscrire aux conditions qui lui ont été communiquées en maintenant invariablement sa résolution d’aller à Belgrade ; la régence, quant à elle, a fait de la diplomatie et gagné du temps jusqu’ici le mieux qu’elle a pu. La reine Nathalie, cependant, a quitté la Russie, où elle a trouvé une hospitalité bienveillante ; elle s’est arrêtée en Roumanie et elle vient de se rendre à Belgrade, où elle est restée populaire et où elle a des partisans même dans le ministère, où elle a trouvé le métropolite qui a refusé de prononcer son divorce, et son jeune fils tout disposé à recevoir sa mère en reine dans son palais. Qu’arrivera-t-il maintenant ? Quelles seront les suites de ce duel singulier entre des époux mal assortis, qui ne sont pas si bien divorcés qu’ils ne puissent se quereller encore ? C’est là la question ; elle est faite pour piquer la curiosité : elle peut malheureusement aussi se compliquer en chemin si le retour de la