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Il faisait des fautes d’orthographe et écrivait dans une mauvaise langue, semée de trouvailles de génie. D’autre part, Kant était vieux, malade et absorbé dans ses propres travaux : « Je m’étais déjà décidé, écrivit-il enfin à Marcus Herz, à renvoyer le manuscrit avec des excuses ; .. mais, y ayant jeté les yeux, je reconnus aussitôt sa valeur, et je vis que non-seulement aucun de mes adversaires ne m’a aussi bien compris et n’a aussi bien saisi le point principal, mais encore que bien peu d’hommes possèdent la pénétration de M. Maimon pour les recherches de cette profondeur. » L’Essai de philosophie transcendantale parut à Berlin en 1790. Le directeur de l’Allgemeine Litteratur zeitung écrivit à ce propos à Maimon : « Trois de nos meilleurs penseurs spéculatifs ont refusé de rendre compte de votre livre, parce qu’ils sont incapables de pénétrer dans les profondeurs de vos recherches. Nous nous sommes adressés à un quatrième ; mais nous n’avons encore rien reçu. »

Nous n’avons certes point la prétention de comprendre et de faire comprendre ce que les collaborateurs de l’Allgemeine Litteratur zeitung déclaraient trop difficile pour eux. Il nous faut pourtant indiquer, en faisant le moins de métaphysique possible, par où les travaux[1] de Salomon Maimon ont été originaux, et pourquoi, de nos jours encore, ils conservent de l’importance pour l’histoire de la philosophie.

Maimon arrivait au moment où la doctrine de Kant traversait une période difficile. Il résultait clairement des travaux de Schulze-Ænésidème[2], que la philosophie critique ne pouvait rester au point où elle avait été portée par les disciples de Kant et par Reinhold. Il fallait aller en avant ou revenir en arrière. Un recul n’était guère admissible ; c’eût été la négation même de la philosophie critique, un retour pur et simple au scepticisme. Quant à une marche en avant, elle ne pouvait avoir lieu que dans une seule direction, qu’il était aisé de discerner. — « Il fallait laisser de côté cette conception de la chose en soi qui avait servi de base aux objections de l’Ænésidème et, de plus, l’abandonner par des raisons tirées du criticisme même[3]. »

  1. Outre l’Autobiographie et l’Essai déjà cités, on a de Maimon : Progrès de la philosophie depuis Leibniz (1793) ; Traité de logique (1794) ; Recherches critiques sur l’esprit humain (1797) ; une édition avec commentaire du More Nebouchim de Maimonide (1791), etc. Maimon avait aussi écrit de nombreux articles de journaux et de revues.
  2. Gottlob-Ernest Schulze, professeur de philosophie à Gottingne, où il eut Schopenhauer parmi ses élèves, est ordinairement désigné par le titre de son grand ouvrage : Ænesidemus, oder über die Fundamente der von dem Herrn Professor Reinhold in Iena gelieferten Elementarphilosophie (1792).
  3. Geschichte der neuern Philosophie. M. Kuno Fischer consacre deux chapitres entiers à Maimon et à son système.