Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/823

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas de rendre une folle encore plus folle, mais qui réussit toujours dans les opéras comiques. La Catherine anglaise, comme la Catherine russe, retrouve la raison et se marie. Cette petite histoire a été tirée du roman de Walter Scott, mais tirée par des mains maladroites.

Je ne crois pas que la partition de la Jolie Fille de Perth soit supérieure à celle des Pêcheurs de perles. On y trouve moins de couleur avec plus d’habileté, des pages d’une facture plus ingénieuse, d’un style plus fin ou plus fort, mais pas un acte aussi complet que le premier acte des Pêcheurs. Si déjà l’originalité de Bizet perce dans plus d’un morceau, comme la danse bohémienne et surtout la scène d’ivresse, les réminiscences abondent : le joli chœur de la Saint-Valentin, nous l’avons dit, n’est qu’un écho du chœur des magnanarelles de Mireille, et la phrase touchante de Catherine, au quatrième acte, A peine au printemps de la vie, avait chanté jadis sur les lèvres de Rachel, la « pauvre juive. » Çà et là, des rythmes ou des mélodies vulgaires : le premier chœur des forgerons, la chanson bachique du duc ; au troisième acte, un finale honnête seulement, avec cantabile ordinaire, et puis de trop fréquentes roulades (les folles en font toujours) que Bizet, d’ailleurs, se reprochait d’avoir accordées à la virtuosité de son interprète.

Mais çà et là aussi, des beautés véritables et diverses. Quoi de plus ravissant, par exemple, que certain duo galant, pendant la fête, entre le duc et sa maîtresse, Mab la bohémienne ? On en a fait une transcription pour orchestre seul, ajoutée à la seconde suite sur l’Arlésienne, et sous cette forme et à cette place inattendue, le délicieux petit menuet est devenu populaire. Mozart en eût tracé le contour charmant, sans peut-être jeter sur l’accompagnement lointain ce dialogue mélodique et pourtant aussi naturel, aussi aisé qu’une conversation de bal.

La danse bohémienne est une page hors ligne. Ici, rien que d’original ; rien du chœur des derviches de Beethoven, rien non plus de l’entr’acte de Philémon et Baucis. A la progression sonore de Gounod, Bizet ajoute la progression du mouvement ; ce n’est pas tout encore : non content de précipiter le rythme jusqu’au vertige, il le disloque, il le secoue avec fureur, et, quand la ronde enragée s’arrête court, l’orchestre fait l’effet d’une machine affolée qui s’emporte et qui éclate.

Nous parlions tout à l’heure de la sérénade des Pêcheurs de perles ; il en est une aussi dans la Jolie Fille de Perth, tout autre, mais peut-être non moins charmante. Sant mille modi Veneris ! Qu’il y en a de ces chansons d’amour ! En voici deux qui se suivent de près et ne se ressemblent guère ; elles diffèrent comme diffèrent