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II

Comment maintenant le Romantisme s’est-il historiquement déterminé ? C’est la seconde ou la troisième des questions que M. Pellissier se propose ; et il y répond nettement. Avant tout, avant d’être ce que nous venons de dire, — et pour pouvoir l’être, — il a fallu que le Romantisme fût une révolution de la métrique et de la langue. C’est aussi bien ce que je rappellerai qu’on avait vu deux fois au moins dans l’histoire de notre littérature nationale : une première fois, au XVIe siècle, quand, en émancipant la versification française de l’insupportable tyrannie des genres à forme fixe, — et quoique d’ailleurs eux-mêmes, sous l’influence de l’italianisme, aient prodigieusement abusé du sonnet, — Ronsard et du Bellay relevèrent la langue du fond de vulgarité, de bassesse, et d’ordure où l’on peut bien dire, je crois, qu’elle se roule encore dans le roman de Rabelais ; et une seconde fois, au XVIIe siècle, entre Malherbe et Boileau, quand les précieuses, les grammairiens, l’Académie naissante, en cataloguant le bel usage et en définissant le bel air, posèrent les conditions de la noblesse du style. On entend bien que je ne parle qu’en gros. Tout récemment encore, à propos de Boileau, j’essayais de montrer combien il y aurait, dans cette période cependant si courte, et pour n’être qu’à peu près exact, de distinctions à faire, de nuances à démêler, et d’époques à séparer.

Pourquoi donc ce rapprochement ? pour signaler au passage une loi de notre histoire littéraire ; pour prouver, par un exemple de plus, l’influence du « mot, » ou, comme on dit aujourd’hui, du « verbe » sur les transformations de l’idée ; et puis, pour bien faire voir que le Romantisme ne s’est jamais plus complètement mépris qu’en remontant chercher au XVIe siècle ses origines philologiques, et qu’en réclamant, sur la foi de Sainte-Beuve, la succession de Ronsard.


Rien ne me plaît, hors ce qui peut déplaire
Au jugement du rude populaire :


telle, en effet, avait été la devise de Ronsard et de ses amis, qui n’avaient pas démentie la fortune et la fin de l’école, puisqu’elle s’était perdue, avec Jean-Antoine de Baïf, dans les subtilités du pire alexandrinisme. Mais, au contraire,


De mettre un bonnet rouge au vieux dictionnaire,


tel avait été, tel fut, presque dès le début, le parti-pris délibéré de Victor Hugo, nullement aristocratique, on le voit, puisque, ce qu’il recommande, c’est l’infusion dans la langue, et à flots, du