Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/904

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ennemis les défenseurs de la tradition classique. Dès le début, il eut affaire à des adversaires redoutables, qui, au lieu de défendre un régime littéraire en désaccord avec l’état social, attaquaient l’école novatrice sur le terrain qu’elle s’était choisi, et arborant la même devise, l’interprétaient dans un esprit plus conforme aux tendances scientifiques que la seconde moitié de notre siècle devait faire prévaloir. »

C’est seulement dommage qu’on ne voie pas assez bien qui sont ces adversaires, et que M. Pellissier n’ait pas cru devoir au moins rappeler leurs combats et leurs noms. Est-ce à Stendhal qu’il songe peut-être ? Il lui ferait alors bien de l’honneur, trop d’honneur à mon sens. — J’ai le malheur d’être de ceux qui, dans la Chartreuse de Parme ou dans le Rouge et le Noir, ont beau s’écarquiller les yeux, ils n’y peuvent découvrir ce que les initiés y admirent. — Les Lamartine et les Hugo, les Vigny, les Musset, les George Sand ou les Sainte-Beuve ont-ils d’ailleurs vraiment jamais vu dans Stendhal un « redoutable adversaire ? » Mais si M. Pellissier veut dire qu’aux environs de 1840, avec Mérimée, Balzac et quelques autres, Stendhal, en sa qualité d’idéologue, formé aux leçons des Cabanis et des Tracy, semble avoir conservé, pour nous les transmettre, le dépôt, la tradition philosophique du siècle précédent, il a raison ; — et c’est bien ici le signal à la fois de la réaction contre le Romantisme, et d’une évolution nouvelle de la littérature du XIXe siècle. Avant que la chose en eût reçu le nom, c’est par le moyen et au profit du Réalisme que la réaction s’est opérée.

Elle ne commença pas toutefois par le roman, mais par le théâtre. C’est que nulle part les romantiques n’avaient moins tenu leurs promesses, ni nulle part trahi plus maladroitement ce qu’on avait mis en eux d’espérance et d’orgueil. Si l’on se rappelle effectivement ce que les novateurs du XVIIIe siècle, ceux en qui l’on voit quelquefois, et à tort, les précurseurs de Dumas et d’Hugo, reprochaient à l’ancienne tragédie, c’était presque moins ses unités que sa pompe, et ses règles que le choix de ses sujets. Atrides et Labdacides, leurs infortunes, trop lointaines, et d’ailleurs inauthentiques, avaient lassé la pitié de nos pères ; on demandait des sujets plus « humains, » des personnages dont la condition fût plus approchée de la nôtre ; on voulait enfin des sentimens tirés de la nature, et au besoin de la rue des Deux-Boules, — selon le mot de Voltaire, qui s’en indignait fort, — et non plus des Vies de Plutarque ou de Cornélius Népos. Diderot, dans son Essai sur la poésie dramatique, Mercier dans le sien, Beaumarchais dans la préface de son Eugénie, c’est ce qu’ils réclamaient tous, et c’est ce que l’on avait cru que le Romantisme, quand il eut triomphé des derniers des