Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 96.djvu/103

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’Orient : tapis de Kairouan et soieries de Tunis, burnous du Djérid et couvertures de Djerba, bracelets d’ambre, d’or et d’argent, porte-cartes et porte-cigarettes, fumoirs d’ambre et colliers de sequins. Ils vous hèlent de leurs cris gutturaux que la foule imite et répète, les soulignant de sa gouailleuse intonation, de sa note et de son diapason. Vous les retrouvez à l’exposition du Maroc, dans cette rue du Caire, dès le premier jour et du premier coup populaire ; attirant et retenant la foule par son bariolage éclatant ; note lumineuse et claire ; par ses tentures vives et ses banderoles déployées : gamme chantante de couleurs. Là s’étalent colliers et bracelets, babouches écarlates et rutilantes chéchias, œufs d’autruche et nougats, dattes et tambourins, vestes et chibouques ; tout cela chante et rit au soleil, tout cela éblouit et miroite.

Par les fenêtres entr’ouvertes du café marocain des notes aiguës, perçantes, vibrent, mêlant un bruit de foire africaine à la gaîté contenue d’une foule en belle humeur ; plus loin, l’orchestre égyptien accompagne en sourdine les danses des almées, et des chants monotones flottent dans l’air.

C’est une autre Afrique : l’Afrique mercantile, remuante, errante, vagabonde, l’Afrique des ports et des bazars, des matelots, des âniers et des touristes ; l’Afrique qui confine à l’Orient ; celle d’Alexandrie, de Suez et d’Aden. Dans cette rue du Caire, tout Paris a passé, souriant, égayé, allant des almées aux gitanas, puis aux danseuses javanaises, allant où l’appelait sa fantaisie soudaine de l’exotisme, son caprice du moment, en apparence inexplicable.

C’est que Paris, la ville mobile et changeante, est aussi celle qui a, plus qu’aucune autre, l’intuition des choses qui vont finir. D’instinct, sa curiosité s’y attache, plus intelligente et moins capricieuse qu’on ne le croit, captivée par ce qui va disparaître et ce qu’elle ne reverra plus. Ainsi en est-il de l’exotisme. Dans le cours de l’Exposition, on s’est étonné de l’engouement subit de la grande ville pour le côté exotique offert à ses yeux, de l’intérêt qu’elle manifestait pour des costumes et des coutumes, pour des dehors qui tranchaient avec son cadre habituel. On a insisté sur ce qu’avait de puéril et d’enfantin cette vogue imprévue ; on ne s’est pas fait faute de commentaires sur le fond de badauderie inhérent au Parisien.

Il y avait de cela, mais il y avait aussi autre chose : l’instinct que l’exotisme s’en va, que dans dix ans d’ici il aura cessé d’être. L’Europe déteint sur l’Orient, et l’Orient s’habille à la mode européenne. Les Japonais ont commencé ; la Chine et l’Afrique tiennent bon encore, mais l’universelle uniformité aura raison de leurs résistances. L’exotisme disparaît en Amérique, en Australie, en Océanie. Le jour est proche où, entre Londres et Canton, entre