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pleine activité de travail et en pleine vigueur d’esprit. Son fils, M. Charles de Loménie, reprend aujourd’hui l’œuvre paternelle au point où elle en était restée. Les matières étaient distribuées par ordre, des milliers de documens choisis et classés. Restaient un travail délicat de contrôle et un travail non moins délicat de rédaction qui appartiennent en propre au nouvel historien, qui ont exigé de lui plusieurs années d’efforts, et dont il est récompensé par l’heureux à-propos de sa publication. Les jeunes gens de nos jours sont très habiles. Je ne serais pas étonné que M. Charles de Loménie eût prolongé lui-même à dessein notre attente, afin de choisir le moment qui lui paraîtrait le plus favorable.

Que risquait-il, d’ailleurs, à attendre ? Il disposait, comme son père, de documens inédits dont l’authenticité est incontestable, qui viennent de la source la plus sûre, que sa famille doit à des relations personnelles d’amitié avec les descendans de Lucas de Montigny, fils adoptif et unique héritier des papiers de Mirabeau. Le temps ne pouvait ni enlever à M. Charles de Loménie la possession exclusive de ces manuscrits ni en diminuer la valeur. A un autre point de vue encore, M. Charles de Loménie hérite d’une situation-privilégiée. Les documens dont il se sert ont été confiés à son père sans conditions. Il n’est tenu de ménager aucun amour-propre de famille. Les héritiers de Mirabeau, qui ne portent point son nom, témoignent, au sujet de sa renommée, une grande liberté d’esprit. On ne demande au biographe aucune de ces atténuations de complaisance, aucune de ces précautions oratoires que la gratitude ou la simple convenance impose aux détenteurs de manuscrits lorsqu’ils en doivent la communication à des familles très entichées de leur gloire, très jalouses du bon renom de leurs ancêtres. M. Charles de Loménie n’éprouve aucun scrupule de ce genre, il n’a souci que de dire la vérité. Nous lui devons donc non pas un panégyrique, mais une histoire de Mirabeau véridique, impartiale et complète.


I

Pour bien comprendre le caractère de l’homme, essayons d’abord de le replacer au milieu des siens, parmi les descendans de cette race dure, violente et inquiète qui vient peut-être d’Italie, peut-être simplement de Marseille, et qui a fini par porter jusqu’à Paris son originalité hautaine. Partout où ils passent, les Riquetti ou Riquet, devenus Mirabeau, se font remarquer depuis un siècle par un air de singularité tranchante. D’après le propre témoignage de l’un d’eux, lorsqu’ils se présentent dans le monde, on s’attend