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la comtesse de Mirabeau, qui, depuis des années, ne témoigne à son mari qu’une parfaite indifférence. Pour conquérir sa liberté, Mirabeau en est réduit à faire des avances à une femme qu’il méprise, qui l’a trompé le lendemain de son mariage, à laquelle il a généreusement pardonné, qui n’a répondu à sa générosité que par l’ingratitude, qui aurait pu le délivrer d’un mot si elle avait simplement annoncé l’intention de partager sa captivité, mais qui n’a jamais voulu y consentir. On exige de lui un sacrifice plus douloureux encore. On le condamne à insister auprès de Mme de Monnier pour qu’elle se réconcilie avec son mari, qui continue à offrir le pardon et l’oubli. La malheureuse femme, toujours consumée par le feu de la passion, se débat contre les instances de son amant et ne se résigne à céder que lorsqu’il est trop tard. Comment Mirabeau aurait-il pu oublier l’odieuse violence faite à ses sentimens, comment n’aurait-il pas pensé qu’une société où un père pouvait exiger de telles choses de son fils était une société à refaire ? On peut dire du bien de l’ancien régime à distance, lorsqu’on c’en considère que les grandes lignes et l’architecture extérieure ; dès qu’on y regarde de près, on s’aperçoit qu’aucune révolution n’était plus nécessaire, n’a été plus justifiée que la révolution de 1789.

Au moment où il rendait son fils à la liberté, le marquis espérait relever et reconstituer sa famille, d’abord en faisant purger par Mirabeau la condamnation capitale prononcée contre lui à Pontarlier, puis en l’envoyant à Aix auprès de sa femme pour y reprendre la vie conjugale. Le premier résultat fut obtenu sans trop de peine ; mais la seconde entreprise trompa toutes les espérances du marquis. Celui-ci ne soupçonnait pas les griefs de son fils contre Mlle de Marignane. Il se doutait encore moins que la jeune femme s’effrayait par-dessus tout de retrouver un mari qu’elle avait outragé, dont la présence à son foyer eût été un reproche et pouvait devenir un danger. D’ailleurs, pendant neuf années de veuvage réel, la comtesse de Mirabeau s’était créé une existence nouvelle : elle vivait au milieu d’un cercle d’amis qu’elle charmait par sa grâce, dans un tourbillon de réunions joyeuses, de bals, de comédies, de petits soupers dont elle était l’âme. Le retour de son mari menaçait de troubler cette vie de plaisirs. Qu’avait-elle besoin d’un revenant que l’on regardait comme mort civilement, qui aurait dû avoir le bon goût de ne pas reparaître ? Entourée d’hommages, elle se sentait soutenue par la résistance de sa famille, par l’émotion que causait, dans la société provençale, la crainte de la perdre. En échange de cette souveraineté élégante qu’avait-on à lui offrir ? La gêne domestique, les embarras financiers, des récriminations possibles sur