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observation indépendante et nouvelle de la nature, on se prépare à tirer, de l’enseignement français ou de l’enseignement local, des développemens originaux.

Le grand intérêt pour nous, en des occasions pareilles, est-il seulement de constater que nos maîtres vivans, comme nos maîtres disparus, continuent d’exercer une action dominante sur les écoles étrangères ? Faut-il donc compter, par exemple, quels sont du nord au midi les élèves ou les imitateurs de Cabanel ou de Millet, de MM. Meissonier et Gérôme, Bonnat et Carolus Duran, Jules Breton et Vollon, Jean-Paul Laurens et Jules Lefebvre ? La liste en serait longue et pourrait flatter notre vanité. Mais au-dessus des intérêts de notre vanité, il y a les intérêts de notre activité, et, plus l’émulation avec les écoles étrangères deviendra sérieuse et réelle, plus nous avons chance de voir la nôtre prospérer et grandir sans tomber dans cet engourdissement présomptueux auquel n’échappent guère les écoles trop longtemps prépondérantes. Ce qui nous importe donc, avant tout, c’est d’examiner dans les pays qui nous entourent et qui nous imitent, si ce voisinage et cette imitation y déterminent, au double point de vue imaginatif et technique, un simple courant de dilettantisme stérile et d’habileté superficielle, ou si le mouvement qui en procède prend le caractère d’un mouvement de rénovation indépendant, original et fécond pour l’avenir.

C’est toujours par le contact d’un art extérieur, florissant ou dégénéré, qu’on voit naître ou renaître les arts dans une contrée barbare ou civilisée. L’histoire d, e la peinture, plus encore que celle de l’architecture et de la sculpture, parce que la matière transmissible y est plus mobile, n’est guère que l’histoire de ces échanges intermittens et réciproques d’exemples et d’excitations entre les différentes nations. Durant plusieurs siècles, l’Italie et les Pays-Bas ont été, successivement ou conjointement, depuis Giotto et Van Eyck jusqu’à Rembrandt et Tiepolo, les deux centres actifs d’où rayonnaient l’inspiration et l’enseignement, et, pour ainsi dire, les deux pôles du courant qui, tantôt partant du nord et tantôt du sud, n’a cessé d’échauffer et d’agiter l’imagination des peintres. Placée au centre, la France, pendant longtemps, ne fit guère que recueillir, dans un foyer tranquille et clair, les étincelles brillantes de ce double courant. Malgré la concentration puissante ou charmante qu’elle en sut déjà faire au XVIIe et au XVIIIe siècle, ce n’est pourtant qu’en notre temps qu’elle est devenue à son tour la tête et la source du mouvement, et qu’elle a dirigé l’activité générale dans le sens de son génie national, jetant et répandant de tous côtés cet esprit de vérité, de liberté, d’humanité qui depuis la Révolution se manifeste dans ses