Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 96.djvu/171

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de leurs mœurs. Que deviendront MM. Bergh, Larsson, Zorn, les plus habiles, au premier abord, et les plus séduisans des Suédois ? Tous trois habitent Paris ; Dieu veuille qu’ils ne s’en repentent pas ! Le talent de M. Bergh, un portraitiste franc, simple, d’une naïveté intelligente vraiment rare, nous paraît seul assez robuste pour résister à ce milieu énervant. On peut constater déjà, dans la virtuosité singulièrement fine et avisée de MM. Larsson et Zorn, une surexcitation maladive des sensations subtiles, un besoin excessif de chiffonnages, de papillotages, de tripotages, une affectation boulevardière d’indifférence ou de mépris pour la solidité et pour l’exactitude des formes, qui semblent bien être les symptômes de la contagion décadente. Ce seraient deux pertes fâcheuses, car M. Larsson est un harmoniste très délicat et un figuriste spirituel, et M. Zorn joint à un sentiment tout à fait particulier des éclairages nuancés et tendres une intelligence vive et rapide des physionomies modernes, par exemple dans ses portraits de M. Antonin Proust et de M. Coquelin cadet. Ils sont encore assez Suédois pour être sauvés. Chez MM. Norström, Osterlind, Liljefors, Pauli, Mme Pauli-Hirsch, Mlle Éva Bonnier, MM. Josephson, Biorck, Ékström, Schultzberg et quelques autres, on constate aussi la présence d’un élément indigène qui cherche à se reconnaître et à se manifester en prenant conseil soit en France, soit en Allemagne ; leurs maladresses et leurs témérités même sont des preuves de leur tempérament. Peut-être vaut-il mieux être ainsi trop imprudens que trop sages, comme le sont tels et tels de leurs compatriotes, plus expérimentés et plus Parisiens, qui feront longtemps sans doute bonne figure à nos Salons, MM. Forsberg, Wahlberg, Burger, Westman, Kreuger, Arsénius, mais qui ne s’y distinguent plus guère de leurs voisins.

La Norvège paraît plus rebelle à l’assimilation. Il y a là tout un groupe d’artistes vraiment personnels, convaincus, intéressans, qui nous apportent sur leur pays des révélations curieuses et saisissantes. M. Werenskiold, parmi eux, est un modéré. Son Enterrement à la campagne est cependant une œuvre très personnelle, d’une émotion sincère, d’une exécution un peu atténuée, mais grave et délicate. On remarque moins de retenue, plus d’indépendance et de liberté pittoresque dans ses paysages et dans ses portraits. Chez MM. Peterssen, Heyerdahl, Thaulow, l’âpreté honnête de l’observation s’accentue avec une résolution extraordinaire. Ceux-là sont vraiment des artistes nouveaux, et, s’il y en a beaucoup de cette valeur à Christiania, l’école norvégienne comptera bientôt en Europe. L’Attente du saumon, par M. Peterssen, où l’on voit, sur un îlot, quelques pêcheurs assis, dans une perspective