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apparence. Comment le qualifier ? Réveil religieux ? L’expression est trop affirmative, si l’on entend par là une restauration de la discipline chrétienne. Mysticisme ? Le mot a mauvaise réputation, la littérature en fait un usage ! immodéré, souvent avec peu de discernement. Au lieu de chercher des qualifications d’une exactitude douteuse, consultons les maîtres que leurs fonctions mettent en rapports constans avec la jeunesse ; tous tombent d’accord sur les observations suivantes.

L’esprit de nos grandes écoles, de celles mêmes qui passaient de tout temps pour les citadelles de l’irréligion, subit des modifications sensibles. Chacune d’elles compte un groupe de jeunes gens très décidés dans leurs convictions religieuses ; pour les autres, pour la majorité incrédule, ces convictions sont l’objet d’une curiosité bienveillante. L’humeur, autrefois générale, qui s’appelait le voltairianisme, devient un phénomène très rare. Les générations nouvelles abordent les questions religieuses, comme les autres problèmes scientifiques, avec sérieux et sans prévention ; elles les soumettent à leurs méthodes habituelles d’investigation. Là comme partout, les argumens de passion ou d’ironie ont peu de prise sur elles ; les conclusions tirées des faits déterminent seules les opinions. La disposition la plus fréquente peut se résumer ainsi : Nos aînés écartaient d’une façon trop sommaire tout un ordre d’idées qu’ils jugeaient anti-scientifique ; il faut voir. — Les enseignemens orthodoxes ne persuadent guère cette jeunesse ; ils commencent par condamner en bloc tout le système de vérités provisoires sur lequel elle vit. Le résultat serait autre, peut-être, si ces enseignemens revendiquaient les parties les plus fermes des doctrines en faveur, s’ils montraient comment ces doctrines rentrent, avec une transposition de vocabulaire, dans l’explication théologique de l’univers : le déterminisme, dans les notions de grâce et de prédestination ; l’hérédité, avec toutes ses conséquences biologiques, dans le péché originel, dans la réversibilité des mérites et des fautes ; la sélection, dans le rachat par les œuvres ; les duperies de la nature, dans les tentations de la matière ; la volonté collective de l’univers, dans le concept de la Providence. Ce n’est pas le lieu d’appuyer sur ces indications ; c’est assez qu’elles suggèrent quelques titres de chapitres, pour un livre qui doit être déjà ébauché dans un cerveau de notre temps ; la phase intellectuelle ou nous sommes l’appelle ; ce livre ne fera que développer la page fameuse où Joseph de Maistre traçait d’avance les grandes lignes du système darwinien, avec le seul secours de la révélation théologique. — Chez un certain nombre de nos jeunes contemporains, ces curiosités de l’esprit se doublent du sentiment, quelque nom qu’on lui donne, qui fait fléchir la raison